Antigone de Sophocle (dramaturge grec, -495 -406)

traduit par Leconte de Lisle, 1877


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LE GARDIEN :
Roi, je ne dirai pas sans doute que je suis venu, haletant, d’un pas rapide et pressé. Je me suis attardéJ'ai pris mon temps, je suis venu lentement en proie à beaucoup de soucis, et retournant souvent en arrière sur mon chemin. En effet, je me suis dit bien des foisplusieurs fois : — Malheureux ! pourquoi courir à ton propre châtimentpunition, mort ? Mais t’arrêteras-tu, malheureux ? Si Créon apprend ceci de quelque autrepar quelqu'un d'autre, comment échapperas-tu à ta perteéviteras-tu la mort ? — Roulant ces choses dans mon espritEn réfléchissant à tout ça, j’ai marché lentement de sorte que la route est devenue longue, bien qu’elle soit courte. Enfin j’ai résoluj'ai décidé de venir à toi, et quoique je ne rapporte rien de certain, je parlerai cependant. En effet, je viens dans l’espoir de ne souffrir que ce que la destinée a décidé.

CRÉON :
Qu’est-ce ? Pourquoi es-tu inquiet dans ton esprit ?

LE GARDIEN :
Je veux avant tout te révélerdire, raconter, avouer ce qui me concerne. Je n’ai point fait ceci et je n’ai point vu qui l’a fait. Je ne mérite donc pas d’en souffrir.

CRÉON :
Certes, tu parles avec précautionprudence et tu te garantisprotèges de toute façon. Je vois que tu as à m’annoncer quelque chose de grave.

LE GARDIEN :
Le danger inspireprovoque, apporte, donne beaucoup de crainte.

CRÉON :
Ne parleras-tu pointVas-tu enfin parler afin de sortir, la chose dite ?

LE GARDIEN :
Je te dirai tout. Quelqu’un a ensevelia enterré le mort, et s’en est alléest reparti après avoir jeté de la poussière sèche sur le cadavre et accompli les rites funèbrescérémonie traditionnelle et religieuse pour un enterrement selon la coutumela tradition (ici: la religion).

CRÉON :
Que dis-tu ? Qui a osé faire cela ?

LE GARDIEN :
Je ne sais, car rien n’avait été tranchécreusé par la bêche ni creusé par la houe. La terre était dure, âpre, intactepas touchée, pas creusée, non sillonnée par les roues d’un char ; et celui qui a fait la chose n’a pointpas laissé de trace. Dès que le premier veilleurgardien qui surveille du matin nous eut appris le faitcet événement, cette chose qui est arrivée, ceci nous sembla un triste prodigeévénement surnalturel. Le mort n’était plus visible, non qu’il fût enfermé sous terre cependant, mais entièrement couvert d’une poussière légère afin d’échapper à toute souilluresaleté, impureté, dégradation. Et il n’y avait aucune trace de bête fauve ou de chien qui fût venu et qui eût traîné le cadavre. Alors, nous commençâmes à nous injurierinsulter, chaque gardien en accusant un autre. Et la chose en serait venue aux coupsà la violence, à la bagarre, car nulpersonne n’était là pour s’y opposer, et tous semblaient coupables ; mais rien n’était prouvé contre personne et chacun se défendait du crimedisait qu'il était innocent. Nous étions prêts à saisir de nos mains un fer rouge, à traverser les flammes, à jurer par les Dieux que nous n’avions rien fait, que nous ne savions ni qui avait méditéavait préparé, avait pensé à le crime, ni qui l’avait commisavait fait (ce crime). Enfin, comme en cherchant nous ne trouvions rien, un d’entre nous dit une parole qui fit que nous baissâmes tous la tête de terreur ; car nous ne pouvions ni la contrediredire le contraire, rejeter, ni savoir si cela tournerait heureusement pour nous. Et cette parole était qu’il fallait t’annoncer la chose et ne rien te cacher. Cette résolutiondécision l’emporta, et le sortle tirage au sort, le hasard, la malchance m’a condamné, moi, malheureux, à porter cette belle nouvelle ! Je suis ici contre mon grécontre ma volonté (= je ne voulais pas être là) et contre votre gré à tous. Personne n’aime à être un messager de malheur.

[...]

CRÉON : [...]
Je dis et jure que, si vous n’amenez pointpas devant moi l’auteur de cet ensevelissemententerrement, vous ne serez point seulement punis de mort, mais pendus vivants, tant que vous n’aurez point révéléavoué, dit , trouvé, annoncé qui a commis ce crime [...].



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