Montserrat d'Emmanuel Roblès

Acte I, scène 7

MONTSERRAT, IZQUIERDO, ANTONANZAS, ZUAZOLA
Ces derniers se placent derrière Montserrat, prêts à le maîtriser.

IZQUIERDO - Je te plains, Montserrat ! Je sais que tu as du courage... Il va t'en falloir beaucoup.

MONTSERRAT - Je ne crains rien.

IZQUIERDO. - Qui sait ? Je pourrais te faire torturer à mort, mais tu ne parlerais pas. Je te connais. Et, si tu mourrais à la torture, par Dieu, ma chance de capturer Bolivar s'envolerait avec ton souffle disparaitrait avec ta vie. Son ExcellenceGouverneur qui représente le Roi d'Espagne en Amérique m'a laissé libre choix des moyens pour te faire dénoncer le nouveau refugela nouvelle cachette de ton ami...

MONTSERRAT. - Puisque vous savez que je ne parlerai pas, qu’attendez-vous pour me faire fusiller ?

IZQUIERDO. doucement. - Tu parleras... (Il marche, tête basse, de long en large, puis s'arrête et regarde fixement Montserrat.) Écoute-moi. Six personnes vont être enfermées ici, dans cette salle, avec toi. Des gens pris au hasard dans la rue. Des innocents, Montserrat ! des hommes et des femmes de ce peuple que tu aimes plus que ton drapeauque le drapeau espagnol = que ton pays, que ta patrie. Dans une heure, si tu n'as pas dénoncé l'endroit précis où se cache Bolivar, ils seront fusillés !

MONTSERRAT. atterréstupéfait et horrifié. - C'est impossible ! Izquierdo ! C'est inhumain !

IZQUIERDO. méprisant. - Qu’importe ! Si c'est efficace...

MONTSERRAT - Je veux demander audienceun rendez-vous au général.

IZQUIERDO. brutal. - Refusé !... (Silence) Tu auras une heure. Au bout d'une heure, si tu t'obstinestu t"entêtes, tu refuses de parler, tu gardes le silence, ils seront fusillés derrière ce mur. Il faudra choisir entre la mort de Bolivar, rebelle et traître, et celle de six innocents.

MONTSERRAT révolté, hurle. - Tu es une bête immondeignoble, horrible, sadique ! J'aurais dû t'écraser la tête le jour de Gomara, quand tu as fait enterrer vivants tous les prisonniers.

IZQUIERDO. - Tais-toi ! Aujourd'hui, ce sera plus difficile qu'à Gomara.

MONTSERRAT hors de luifurieux, incontrôlable, fou de rage. - Je te hais ! (Il tenteessaie de se jeter sur Izquierdo. On le maîtriseOn le contrôle / On l'attrape / On le maintient.)

IZQUIERDO ironique. - Et moi, je te plains. Je te plains de toute mon âmefortement, vraiment, car ton épreuve sera dure, très très dure.

MONTSERRAT. - Je veux voir le général. Son Excellence me fera fusiller pour avoir trahi, pour avoir préféré la cause des hommes que nous opprimonsla lutte, le combat de la population que nous écrasons à la fidélité au Roi. Il me fera fusiller pour tout ce qu'il voudra. Ça m'est égalJe m'en fiche. Je consens àJ'accepte de mourir en traître. Je suis un traître dans ce camp, je l'avoue. Et c'est parce que je suis un homme. Parce que j'ai des sentiments d'homme ! Que je ne suis pas une machine à tuer, une machine aveugle et cruelle !...

IZQUIERDO. - Assez ! Son Excellence m'a ordonné de te faire avouer la retraitela cachette de Bolivar. Par n'importe quel moyenn'importe quelle méthode. Je l'ai, ce moyen. (Silence) Les gens qui vont venir ici, je ne veux pas savoir s'ils sont pour ou contre nous, s'ils nous aiment ou non. L'essentiel, c'est qu'ils soient innocents. Il y aura peut-être parmi eux de fidèles sujets du Roi. Tant mieux. Il faut qu'ils n'aient rien à se reprocherils ne soient pas coupables. Un seul coupable, ici, toi. Coupable d'avoir aidé la fuite d'un chef rebelle. Tu tiens le marchéC'est toi qui décides : donnant, donnant ; la vie de six innocents contre la vie d'un traître et d'un bandit.

MONTSERRAT. - Je ne peux pas ! Je-ne-peux-pas ! Je ne peux pas !

IZQUIERDO. - Qu'est-ce qui t'en empêche? L'honneur, peut-être, hein ? On ne livredénonce pas un ami qu'on a soi-même mis en sûreté ? C'est cela ?... Réfléchis, Montserrat. Six innocents ! Pèse-le bien, ton honneur...

MONTSERRAT. - Ah ! ce n'est pas cela ! S'il ne s'agissait que de mon honneur !

IZQUIERDO. - Quoi, alors?

On entend dehors des exclamations, des bruits de pas, des cris : « Avancez ! » « Mais je n'ai rien fait ! » « Silence. »

  • Acte I, scène 10