Dans une clairière parfaitement planeplate, Robinson mit à
jour sous les herbes un beau troncde myrte sec, sain et
de belle venue qui pourrait faire la pièce maîtresseprincipale, la plus importante de son
futur bateau. Il se mit aussitôt au travail, non sans
continueren continuant à surveiller l’horizon qu’il pouvait voir de son
chantier lieu où il construit son bateau, car il espérait toujours la survenuel'arrivée d’un navire.
Après avoir ébranchéenlevé les branches le tronc, il l’attaqua à la hache pour
lui donner le profil d’une poutre rectangulaire. Malgré
toutes ses recherches dans La Virginie, il n’avait pu
trouver ni clous
, ni vis
, ni vilebrequin
, ni même une scie
. Il
travaillait lentement, soigneusement, assemblant les
pièces du bateau comme celles d’un puzzle. Il escomptait espérait, pensait
que l’eau en faisant gonfler le bois donnerait à la coque
une solidité et une étanchéitéimperméabilité (= l'eau ne peut pas passer) supplémentaires. Il eut
même l’idée de durcir à la flamme l’extrémitéle bout des pièces parties en bois,
puis de les arroser après l’assemblage pour mieux les
souder dans leur logement. Cent fois le bois se fendit se couper en deux sous
l’action soit de l’eau, soit de la flamme, mais il
recommençait toujours sans ressentir ni fatigue ni
impatience.
Dans ces travaux c’était le manque d’une scie dont
Robinson souffrait le plus. Cet outil – impossible à
fabriquer avec des moyens de fortune – lui aurait épargné
des mois de travail à la hache
et au couteau.
Un matin, il
crut rêver encore en entendant à son réveil un bruit qui
ne pouvait être que celui d’un scieur en action. Parfois le
bruit s’interrompaits'arrêtait, comme si le scieur changeait de
bûche, puis il reprenait avec une régularité monotone.
Robinson sortit doucement du trou de rocher où il avait
l’habitude de dormir, et il avança à pas de loupsans bruits, silencieusement vers
l’endroit d’où provenaitvenait le bruit.
D’abord il ne vit rien,
mais il finit par découvrir au pied d’un palmier un crabe
gigantesque qui sciait avec ses pinces une noix de coco
serrée dans ses pattes. Dans les branches de l’arbre, à six
mètres de haut, un autre crabe cisaillaitcoupait la queue des noix
pour les faire tomber. Les deux crabes ne parurent pas du
tout gênés par l’arrivée de Robinson et ils poursuivirentcontinuèrent
tranquillement leur bruyant travail.
Faute de comme il n'avait pas de vernis ou même de goudron(le goudron permet d'imperméabiliser: d'empêcher l'eau de passer) pour enduirecouvrir la
coque, Robinson entreprit de fabriquer de la glucolle. Il dut
pour cela rasercouper presque entièrement un petit bois de houx
qu’il avait repéré dès le début de son travail. Pendant
quarante-cinq jours, il débarrassa les arbustespetits arbres de leur
première écorce
, et recueillit l’écorce intérieure en la
découpant en lanièresbandes. Puis il fit longtemps bouillir dans
un chaudron ces lanières d’écorce, et il les vit peu à peu se
décomposer en un liquide épais et visqueuxcollant. Il répandit ce
liquide encore brûlant sur la coque du bateau.
L’Évasion était terminée. Robinson commença à
rassembler les provisions la nourriture qu’il embarquerait emporterait dans le bateau avec lui.
Mais il abandonna bientôt cette besogne ce travail en songeant qu’il
convenaitfallait d’abord de mettre à l’eau sa nouvelle
embarcationbateau pour voir comment elle se comporterait. En
vérité il avait très peur de cette épreuve qui allait décider
de son avenir. L’Évasion allait-elle bien tenir la mer ?
Serait-elle assez étanche ? N’allait-elle pas chavirerse retourner, couler sous
l’effet de la première vague ? Dans ses pires cauchemars,
elle coulait à pic à peine avait-elle touché l’eau, et
Robinson la voyait s’enfoncer comme une pierre dans des
profondeurs vertes…
Enfin il se décida à procéder au lancement de
L’Évasion. Il constata d’abord qu’il était incapable de
traîner sur l’herbe et sur le sable jusqu’à la mer cette
coque qui devait bien peser cinq cents kilos. À vrai dire, il
avait complètement négligéoublié ce problème du transport du
bateau jusqu’au rivage. C’était en partie parce qu’il avait
trop lu la Bible, et surtout les pages concernant l’Arche de
Noé. Construite loin de la mer, l’arche n’avait eu qu’à
attendre que l’eau vînt à elle sous forme de pluie et de
ruissellements du haut des montagnes. Robinson avait
commis une erreur fatale en ne construisant pas
L’Évasion directement sur la plage.
Il essaya de glisser des rondins sous la quille pour la
faire rouler. Rien ne bougeait, et il parvint tout juste à
défoncerenfoncer, casser l’une des planches de la coque
en pesant appuyant sur elle
avec un pieu qui basculait en levier sur une bûche. Au
bout de trois jours d’efforts inutiles, la fatigue et la colère
lui brouillaient les yeux. Il songea alors à creuser depuis la
mer une tranchée un long chemin creux dans la falaise jusqu’à l’emplacement
du bateau. Celui-ci pourrait glisser dans cette tranchée et
se retrouver ainsi au niveau du rivagele bord de la mer. Il se jeta au
travail. Puis il calcula qu’il lui faudrait des dizaines
d’années de travaux de terrassement pour réaliser ce
projet. Il renonçaabandonna.