Un jour, Vendredi revint d’une promenade en portant un petit tonneau sur son épaule. Il l’avait trouvé à proximité de l’ancienne forteresse, en creusant le sable pour attraper un lézard.
Robinson réfléchit longtemps, puis il se souvint qu’il
avait enterré deux tonneaux de poudre reliés à la
forteresse par un cordon d’étoupe qui permettait de les
faire exploser à distance. Seul l’un des deux avait explosé
peu après la grande catastrophe. Vendredi venait donc de
retrouver l’autre. Robinson fut surpris de le voir si
heureux de sa trouvaille.
— Qu’allons-nous faire de cette poudre, tu sais bien
que nous n’avons plus de fusil ?
Pour toute réponse, Vendredi introduisit la pointe de
son couteau dans la fente du couvercle et ouvrit le
tonnelet. Puis il y plongea la main et en retira une poignée
de poudre qu’il jeta dans le feu. Robinson avait reculé en
craignant une explosion. Il n’y eut pas d’explosion,
seulement une grande flamme verte qui se dressa avec un
souffle de tempête et disparut aussitôt.
— Tu vois, expliqua Vendredi, le fusil est la façon la
moins jolie de brûler la poudre. Enfermée dans le fusil, la
poudre crie et devient méchante. Laissée en liberté, elle
est belle et silencieuse.
Puis il invita Robinson à jeter lui-même une poignée de poudre dans le feu mais, cette fois, il sauta en l’air en même temps que la flamme, comme s’il voulait danser avec elle. Et ils recommencèrent, et encore, et encore, et il y avait ainsi de grands rideaux de feu verts et mouvants, et sur chacun d’eux la silhouette noire de Vendredi dans une attitude différente.
Plus tard, ils inventèrent une autre façon de jouer avec la poudre. Ils recueillirent de la résine de pin dans un petit pot. Cette résine – qui brûle déjà très bien – ils la mélangèrent avec la poudre. Ils obtinrent ainsi une pâte noire, collante et terriblement inflammable. Avec cette pâte, ils couvrirent le tronc et les branches d’un arbre mort qui se dressait au bord de la falaise. La nuit venue ils y mirent le feu : alors tout l’arbre se couvrit d’une carapace d’or palpitant, et il brûla jusqu’au matin, comme un grand candélabre de feu.
Ils travaillèrent plusieurs jours à convertir toute la poudre en pâte à feu et à en enduire tous les arbres morts de l’île. La nuit, quand ils s’ennuyaient et ne trouvaient pas le sommeil, ils allaient ensemble allumer un arbre. C’était leur fête nocturne et secrète.