Lorsque Robinson sortit de la grotte où il était resté près de trente-six heures, il ne fut pas très surpris de ne plus retrouver Vendredi. Seul Tenn l’attendait fidèlement sur le seuil de la porte de la maison. Il avait d’ailleurs l’air gêné et coupable, ce pauvre Tenn, et c’est lui qui conduisit Robinson d’abord dans la plantation des cactus et des cactées où s’étalaient les plus beaux vêtements et tous les bijoux qui venaient de La Virginie, puis à la rizière où la récolte de l’année achevait de se dessécher au soleil.
Robinson entra dans une grande colère. À tout hasard, il ferma la vanne d’évacuation de la rizière et ouvrit le canal d’alimentationpour irriguer (apporter de l'eau) la rizière. Peut-être les plants de riz voudraient-ils reprendre ?
Ensuite il passa toute une journée à ramasser sur les cactus et les cactées en se piquant cruellement les doigts les vêtements et les bijoux qui étaient ce qu’il possédait de plus beau dans l’île. Il était d’autant plus furieux qu’il se sentait lui-même un peu coupable : s’il n’était pas descendu dans la grotte, tout cela ne serait pas arrivé.
Le lendemain, il se décida à partir à la recherche de Vendredi. Sa colère s’était calmée et l’absence de son compagnon commençait à l’inquiéter. Il entrepritdécida de, commença à donc de battrechercher dans la forêt vierge avec l’aide de Tenn. Le chien qui avait bien compris qu’il fallait retrouver Vendredi fouillait les buissons, se glissait dans les fourrés, suivait des pistes dont l’odeur ressemblait à celle de Vendredi, et il aboyait pour prévenir Robinson quand il avait trouvé quelque chose.
C’est ainsi qu’il découvrit dans une petite clairière
ce qui devait être le camp secret de Vendredi. Il y avait
d’abord entre deux arbres un hamac de lianes rembourré
avec un oreiller et un matelas d’herbes sèches. C’était un
lit suspendu, de toute évidence très confortable. Puis assis
sur une espèce de fauteuil fait de branches d’arbre
ligaturéesattachées, on découvrait une drôle de poupée en paille
tressée avec une tête de bois et des cheveux longs en
raphia. Ainsi Vendredi pour n’être pas tout seul s’était
fabriqué une fiancée ! Enfin Robinson vit, suspendus près
du hamac à portée de la main de celui qui y était couché,
un tas de petits objets à la fois utiles et amusants dont
l’Indien devait agrémenter ses siestes. Il y avait ainsi une
flûte en roseau, une sarbacane, des coiffes de plumes
comme celles des Peaux-Rouges d’Amérique du Nord, des
fléchettes, des peaux de serpent séchées, une espèce de
petite guitare, etc.
Robinson était stupéfaittrès surpris et jaloux de
voir comme Vendredi avait l’air d’être heureux et de
s’amuser sans lui ! À quoi donc servaient tous les travaux
et toutes les obligations qu’il s’imposait chaque jour?
Vendredi ne pouvait plus être loin. Tout à coup, Tenn
tomba en arrêt devant un massif de magnolias envahi par
le lierre, puis avança pas à pas, les oreilles dressées, le cou
tendu. Enfin il s’arrêta, le nez contre l’un des troncs.
Alors
le tronc s’agita et le rire de Vendredi éclata. L’Indien avait
dissimulé sa tête sous un casque de feuilles et de fleurs.
Sur tout son corps, il avait dessiné avec du jus de
genipapo – une plante qui donne une teinture verte
quand on casse une de ses tiges – des rameauxbranches et des
feuilles qui montaient en s’enroulant le long de ses cuisses
et de son torse. Ainsi déguisé en homme-plante et
toujours riant aux éclats, il exécuta une danse triomphale
autour de Robinson, puis il se sauva à toutes jambes vers
la mer pour se laver dans les vagues.