Descriptions de Jean de Léry
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Texte original (1578), chapitre X | Orthographe et syntaxe modernisées |
Pour doncques descrire les bestes sauvages de leur pays, lesquelles quant au genre sont nommées par eux Soó, je commenceray par celles qui sont bonnes à manger. La premiere et plus commune est une qu’ils appellent Tapiroussou, laquelle ayant le poil rougeastre, et assez long, est presque de la grandeur, grosseur et forme d’une vache : toutesfois ne portant point de cornes, ayant le col plus court, les aureilles plus longues et pendantes, les jambes plus seiches et deliées, le pied non fendu, ains de la propre forme de celuy d’un asne, on peut dire que participant de l’un et de l’autre elle est demie vache et demie asne. Neantmoins elle differe encore entierement de tous les deux, tant de la queue qu’elle a fort courte (et notez en cest endroit qu’il se trouve beaucoup de bestes en l’Amerique qui n’en ont point du tout) que des dents, lesquelles elle a beaucoup plus trenchantes et aigues : cependant pour cela, n’ayant aucune resistance que la fuite, elle n’est nullement dangereuse. Les sauvages la tuent, comme plusieurs autres, à coups de flesches ; ou la prennent à des chausses-trapes et autres engins qu’ils font assez industrieusement. [...]
Touchant la chair de ce Tapiroussou, elle a presque le mesme goust que celle de boeuf.
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Donc, pour décrire les bêtes sauvages de leur pays (qu'ils appellent Soó), je commencerai par celles qui sont bonnes à manger. La première et la plus répandue est celle qu'ils appellent Tapiroussou. Elle a le poil rougeâtre et assez long. Elle est presque de la grosseur et de la forme d'une vache. Mais elle ne porte pas de cornes, a le cou plus court, les oreilles plus longues et pendantes, les jambes plus longues et le pied non fendu, comme celui d'un âne. On peut dire que, ressemblant à un âne et à une vache, elle est demie vache demi âne.
Mais elle est complètement différente de l'âne et de la vache par sa queue très courte (et notez qu'il y a beaucoup de bêtes en Amérique qui n'ont pas de queue) et par ses dents qui sont beaucoup plus tranchantes et pointues. Mais elle n'est pas dangereuse car son seul moyen de défense est la fuite. Les sauvages la tuent, comme plusieurs autres animaux, à coups de flèches ou bien ils la prennent dans des piège qu'ils fabriquent de façon assez efficace.   le tapir La chair de ceTapiroussou a presque le même goût que celle du boeuf.
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Or, à fin de poursuyvre la description de leurs animaux, les plus gros qu’ils ayent apres l’Asne-vasche, dont nous venons de parler, sont certaines especes, voirement de cerfs et biches qu’ils appellent Seouassous : mais outre qu’il s’en faut beaucoup qu’ils soyent si grans que les nostres, et que leurs cornes aussi soyent sans comparaison plus petites, encore different-ils en cela qu’ils ont le poil aussi grand que celuy des chevres de par deça.
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Pour poursuivre la description de leurs animaux, les plus gros qu'ils aient après l'âne-vache, dont nous venons de parler, sont certaines espèces de cerfs et de biches qu'ils appellent Seouassous: mais outre qu'ils ne sont pas aussi grands que les nôtres et que leurs cornes sont beaucoup plus petites, ils diffèrent encore par leurs poils qui sont aussi longs que ceux des chèvres. |
Quant au sanglier de ce pays-là, lequel les sauvages nomment Taiassou, combien qu’il soit de forme semblable à ceux de nos forests, et qu’il ait ainsi le corps, la teste, les oreilles, jambes et pieds : mesmes aussi les dents fort longues, crochues, pointues, et par consequent tres dangereuses, tant y a qu’outre qu’il est beaucoup plus maigre et descharné, et qu’il a son grongnement et cri effroyable, encor a-il une autre difformité estrange : assavoir naturellement un pertuis sur le dos par où (ainsi que j’ay dit que le marsouin a sur la teste) il souffle, respire et prent vent quand il veut.
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Quant au sanglier de ce pays-là, que les sauvages nomment Taiassou, bien qu'il ressemble aux sangliers de nos forêts et qu'il ait le même corps, la même tête, les mêmes oreilles, les mêmes jambes, les mêmes pieds, les mêmes dents fort longues, crochues, pointues (et par conséquent très dangereuses), il est bien plus maigre et a un grognement effroyable.   le tayassu ou pécariIl a une autre difformité étrange: il a un trou dans le dos (comme celui que la marsouin a sur la tête) par lequel il souffle et respire.
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Ils ont une beste rousse qu’ils nomment agouti, de la grandeur d’un cochon d’un mois, laquelle a le pied fourchu, la queuë fort courte, le museau et les oreilles presques comme celles d’un lievre, et est fort bonne à manger.
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Ils ont une bête rousse qu'ils appellent agouti :   l'agouti
elle est de la taille d'un cochon d'un mois, a le pied fourchu, la queue très courte, le museau et les oreilles presque comme celles d'un lièvre et elle est fort bonne à manger. |
D’autres de deux ou trois especes, que ils appellent Tapitis, tous assez semblables à nos lievres, et quasi de mesme goust : mais quant au poil, ils l’ont plus rougeastre.
Ils prennent semblablement par les bois certains Rats, gros comme escurieux et presque de mesme poil roux, lesquels ont la chair aussi delicate que celle des connils de garenne.
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  le tapiti Deux ou trois autres espèces d'animaux, qu'ils appellent Tapitis, sont assez semblables à nos lièvres et ont presque le même goût. Mais ils ont le poil plus rougeâtre. Dans les bois, ils attrapent aussi certains rats qui sont gros comme des écureuils et qui ont presque le même poil roux. Ces animaux ont la chair aussi délicate que celle des lapins de garenne. |
Pag, ou pague (car on ne peut pas bien discerner lequel des deux ils proferent), est un animal de la grandeur d’un moyen chien braque, a la teste bigerre et fort mal faite, la chair presque de mesme goust que celle de veau : et quant à sa peau, estant fort belle et tachetée de blanc, gris, et noir, si on en avoit par deçà, elle seroit fort riche et bien estimée en fourreure.
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Le Pag, ou pague (car on ne comprend pas bien quel mot ils disent), est un animal de la taille d'un chien; il a la tête d'une forme bizarre et sa chair a presque le même goût que celle du veau. Sa peau, qui est très belle et tachetée de blanc, de gris et de noir, serait une fourrure très appréciée en Europe. |
Il s’en voit un autre de la forme d’un putoy, et de poil ainsi grisastre, lequel les sauvages nomment Sarigoy : mais parce qu’il put aussi, eux n’en mangent pas volontiers. Toutesfois nous autres en ayant escorchez quelques-uns, et cognus que c’estoit seulement la graisse qu’ils ont sur les rongnons qui leur rend ceste mauvaise odeur, apres leur avoir ostée, nous ne laissions pas d’en manger : et de fait la chair en est tendre et bonne.
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Il y a un autre animal que les sauvages appellent Sarigoy : il a la forme d'un putois et le même poil grisâtre. Comme il sent très mauvais, ils ne le mangent pas. Mais nous en avons écorché quelques uns et nous avons découvert que c'est seulement leur graisse qui provoque cette mauvaise odeur; après avoir enlevé cette graisse, nous en avons mangé : leur chair est tendre et bonne. |
Quant au Tatou de ceste terre du Bresil, cest animal (comme les herissons par deçà) sans pouvoir courir si viste que plusieurs autres, se traisne ordinairement par les buissons : mais en recompense il est tellement armé, et tout couvert d’escailles si fortes et si dures, que je ne croy pas qu’un coup d’espée luy fist rien ;[...] la chair en est blanche et d’assez bonne saveur.
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Quant au tatou brésilien, cet animal (comme les hérissons chez nous) ne peut pas courir vite et se traîne habituellement dans les buissons.   Un tatou Mais il est bien armé, couvert d'écailles si dures et si fortes que je ne crois pas qu'un coup d'épée puisse le blesser; sa chair est blanche et a bon goût. |
Celui que les sauvages appellent Hay, est de la grandeur d’un gros chien barbet, et a la face ainsi que la guenon, approchante de celle de l’homme, le ventre pendant comme celuy d’une truye pleine de cochons, le poil gris enfumé ainsi que laine de mouton noir, la queuë fort courte, les jambes velues comme celle d’un Ours, et les griffes fort longues. |
  Un paresseux |
L’autre, dont je veux aussi parler, lequel les sauvages nomment Coati, est de la hauteur d’un grand lievre, a le poil court, poli et tacheté, les oreilles petites, droites et pointues : mais quant à la teste, outre qu’elle n’est gueres grosse, ayant depuis les yeux un groin long de plus d’un pied, rond comme un baston, et s’estressissant tout à coup, sans qu’il soit plus gros par le haut qu’aupres de la bouche (laquelle aussi il a si petite qu’a peine y mettroit-on le bout du petit doigt) ce museau, di-je, ressemblant le bourdon ou le chalumeau d’une cornemuse, il n’est pas possible d’en voir un plus bigerre, ni de plus monstrueuse façon. Davantage parce que quand ceste beste est prinse, elle se tient les quatre pieds serrez ensemble, et par ce moyen panche tousjours d’un costé ou d’autre, ou se laisse tomber tout à plat, on ne la sçauroit ni faire tenir debout, ni manger, si ce n’est quelques fourmis, de quoy aussi elle vit ordinairement par les bois. |
  le coati |