Knock ou le triomphe de la médecine de Jules Romain

Acte II, scène 1

Le docteur Knock vient de s'installer dans la petite ville de Saint-Maurice. Pour attirer la population, il offre une consultation gratuite de 9h à 11h30 tous les lundis. Il demande au tambour du village de diffuser la nouvelle. Le tambour demande exceptionnellement une consultation avant l'heure des rendez-vous gratuits.


Autrefois, le tambour lisait les informations municipalesdu maire

LE TAMBOUR, après plusieurs hésitations.
Je ne pourrai pas venir tout à l’heure, ou j’arriverai trop tard. Est-ce que ça serait un effet de votre bonté de me donner ma consultation maintenant ?

KNOCK
Heu… Oui. Mais dépêchons-nous. J’ai rendez-vous avec M. Bernard, l’instituteur, et avec M le pharmacien Mousquet. Il faut que je les reçoive avant que les gens n’arrivent. De quoi souffrez-vous ?

LE TAMBOUR
Attendez que je réfléchisse ! (Il rit.) Voilà. Quand j’ai diné, il y a des fois que je me sens une espèce de démangeaison ici. (Il montre le haut de son épigastre.) Ça me chatouille, ou plutôt, ça me gratouille.

KNOCK, d’un air de profonde concentration.
Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille ?

LE TAMBOUR
Ça me gratouille. (Il médite.) Mais ça me chatouille bien un peu aussi.

KNOCK
Désignez-moi exactement l’endroit.

LE TAMBOUR
Par ici.

KNOCK
Par ici… où cela, par ici ?

LE TAMBOUR
Là. Ou peut-être là… Entre les deux.

KNOCK
Juste entre les deux ?... Est-ce que ça ne serait pas plutôt un rien à gauche, là, où je mets mon doigt ?

LE TAMBOUR
Il me semble bien.

KNOCK
Ça vous fait mal quand j’enfonce mon doigt ?

LE TAMBOUR
Oui, on dirait que ça me fait mal.

KNOCK
Ah ! ah ! (Il médite d’un air sombre.) Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ?

LE TAMBOUR
Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais, effectivement, ça me gratouillerait plus.

KNOCK
Ah ! Ah ! très important. Ah ! ah ! Quel âge avez-vous ?

LE TAMBOUR
Cinquante et un, dans mes cinquante-deux.

KNOCK
Plus près de cinquante-deux ou de cinquante et un ?

LE TAMBOUR, il se trouble peu à peu.
Plus près de cinquante-deux. Je les aurai fin novembre.

KNOCK, lui mettant la main sur l’épaule.
Mon ami, faites votre travail aujourd’hui comme d’habitude. Ce soir, couchez-vous de bonne heure. Demain matin, gardez le lit. Je passerai vous voir. Pour vous, mes visites seront gratuites. Mais ne le dites pas. C’est une faveur.

LE TAMBOUR, avec anxiété.
Vous êtes trop bon, docteur. Mais c’est donc grave, ce que j’ai ?

KNOCK
Ce n’est peut-être pas encore très grave. Il était temps de vous soigner. Vous fumez?

LE TAMBOUR, tirant son mouchoir.
Non, je chique.

KNOCK
Défense absolue de chiquer. Vous aimez le vin ?

LE TAMBOUR
Je bois raisonnablement.

KNOCK
Plus une goutte de vin. Vous êtes marié ?

LE TAMBOUR
Oui, docteur. Le tambour s’essuie le front.

KNOCK
Sagesse totale de côté-là, hein ?

LE TAMBOUR
Je puis manger ?

KNOCK
Aujourd’hui, comme vous travaillez, prenez un peu de potage. Demain, nous en viendrons à des restrictions plus sérieuses. Pour l’instant, tenez-vous-en à ce que je vous ai dit.

LE TAMBOUR, s’essuie à nouveau.
Vous ne croyez pas qu’il vaudrait mieux que je me couche tout de suite ? Je ne me sens réellement pas à mon aise.

KNOCK, ouvrant la porte.
Gardez-vous en bien ! Dans votre cas, il est mauvais d’allez se mettre au lit entre le lever et le coucher du soleil. Faites vos annonces comme si de rien n’était, et attendez tranquillement jusqu’à ce soir.

Le tambour sort. Knock le reconduit.

Knock ou le Triomphe de la médecine de Jules Romain, acte II scène 4