Lors du procès de Douglas Templemore, le jury a refusé de délibérerdébattre pour décider si quelqu'un est coupable ou innocent et de prendre une décision car les membres du jury n'arrivaient pas à savoir si le bébé assassiné était un enfant ou un singe. Un nouveau procès va avoir lieu. Le ministre rencontre le juge Arthur Draper qui va présider le procès aux Assises de Douglas Templemore.
DRAPER : Je crois me rappeler... que le Jury a refusé de délibérer ?
LE MINISTRE : Il a refusé de se prononcerrépondre, décider et tout envoyé promenerarrêté. Un scandale sans précédentunique, jamais arrivé dans le passé dans toute l'histoire de la justice britannique !
DRAPER : Au moins si ça pouvait la secouer un peu! Et... quelles raisons les jurés ont-ils données de ce refus ?
LE MINISTRE : Qu'ils n'y comprenaient rien. [...] Ils accusent les témoins, les experts, les anthropologuesde "anthropos" (= hommes, humains) et du suffixe "logos" (= étude, discours, parole) : scientifiques qui étudient les sociétés humaines de ne s'être accordés sur rien, pas même la police avec le procureurpersonne qui défend la société dans un procès et accuse l'accusé, de n'avoir fait que se chamaillerse disputer : c'est un singe ! — c'est un homme ! — un singe ! — un petit enfant ! — crétin ! imbécile ! — triple idiot ! — âne bâté ! Et quand nos gens interrogeaient la Courle tribunal, le juge, le juge, paraît-il — vous le connaissez ? répondait qu'il ne savait pas non plus. Alors ils en ont eu assez et ont donné leur langue au chatont dit qu'ils ne pouvaient pas répondre.
[...]
C'est vous qui présiderez les nouvelles assisesle nouveau procès aux Assises.
DRAPER (après un haut-le-corps) : Eh bien, merci du cadeau!
[...]
LE MINISTRE : Depuis longtemps, mon cher, nous sommes sur le même navire. Je vous confie la barre. Je sais qu'elle sera en bonnes mains.
DRAPER (doucement, mais sur ses gardesprudent) : C'est-à-dire ? Un temps.
LE MINISTRE : Voyez-vous, Sir Arthur, cette affaire apparaît de jour en jour plus délicate et plus complexe. Disons, plutôt, qu'il faut absolument la simplifier. Car elle a débordéest sortie du, a dépassé le domaine judiciaire. Pour tout vous dire, eh bien... mm... elle inquiète vivement mon excellent collègue le ministre du Commerce, voilà. Vous le connaissez ?
DRAPER : Non. Qu'a-t-il à voir dans cette histoire de singes ?
LE MINISTRE : Ou de sauvages ! — Ou de sauvages. — Justement, figurez-vous qu'elle le touche de très près. Lui et nos industries. Car ces créatures, voyez-vous, si elles nous ressemblent comme des frères, ressemblent beaucoup aussi, malheureusement, à des gorilles. Mais des gorilles, alors, excessivement adroitsdoués de leurs mains, habiles. Que l'on a pu dresser à faire beaucoup de choses. Jusqu'à se servir, même, d'outils et de machines. Peut-être devinez-vous... mm... où je veux en venir ?
DRAPER (toujours sur ses gardes) : Pas encore tout à fait.
LE MINISTRE : Je ne voudrais pas vous influencer, bien entendu. Il va de soi queBien sûr la Justice... l'autonomie de votre charge... l'indépendance du juge est sacrée...
DRAPER : Assurément. Mais... ?
LE MINISTRE : Mais... mm... la prospéritéla richesse industrielle du royaume britannique ne l'est pas moinsest aussi sacrée, très importante, n'est-ce pas ? Surtout en ce moment. Or, s'il ressortait de ce procès, par malheur, voyez-vous... que ces tropis-là sont des singes, nulpersonne ne pourrait alors empêcher nos concurrents australiens de s'en servir, là-bas, comme d'une main-d'oeuvre, disons, à bon marchépas chère, avec un petit salaire. À très bon marché, même. À très très bon marché. Comprenez-vous ? De sorte que nos industries nationales, ici en Angleterre, avec ces hauts salaires que nous imposent nos syndicats...
DRAPER : Je vois. Mais si le Jury décide qu'ils sont des hommes, il s'ensuivrala conséquence sera que l'accusé sera déclaré coupable et pendu ?
LE MINISTRE : Tst, tst ! Ne me faites pas dire, mon cher, ce que je n'ai pas dit. Nous bavardons, c'est tout. N'est-ce pas ? Entre amis. Seulement entre amis. Il ne pourrait s'agir... même pas d'un avis, d'un conseil, mais seulement... d'un tour d'horizon ; pour vous... avertir, comme c'est mon devoir, des conséquences extrêmement fâcheusesmauvaises, gênantes qu'une... mm... erreur de jugement...
DRAPER (doucement) : Un juge britanniqueanglais, de toute façon, ne saurait mettre en balancene peut pas comparer, ne peut pas mettre sur le même niveau même de grands intérêts financiers avec la vie et l'honneur d'un sujet de la Reine.
LE MINISTRE (vite) : Bien entendu.
DRAPER : Serait-ceMême si c'est un journaliste.
LE MINISTRE : Bien entenduBien sûr, bien entendu. Mais remarquez... qu'il peut s'agir tout aussi bien, selon ce qu'ils sont, ces tropis, de la vie et de l'honneur d'un peuple. D'un peuple. C'est la thèse du ministère public. Elle est, comme vous voyez, tout à fait humanitaire. N'est-ce pas ? (Silence de Draper.) Tout à fait. De sorte que, de toute façon, il serait éminemmentextrêment, très souhaitable... que le jury ne soit pas... mm... trop influencé dans l'autre sens. Me suis-je bien fait comprendre ?
DRAPER (froidement) : Je me le demande. Qu'est-ce que vous voulez dire exactement, mon cher ministre ?
LE MINISTRE : Ne m'appelez pas ministre. Nous sommes en privé. Tout à fait en privé. Je voulais dire... mm... qu'aucune raison d'ordre affectif ne saurait, j'en suis certain... vous inciterpousser vous-même à l'indulgencela bonté, la gentillesse, la faiblesse ? DRAPER (même ton) : Je vous comprends de moins en moins.
LE MINISTRE : Je faisais allusion àparlais d'une certaine demoiselle.
DRAPER : Certaine demoiselle ?
LE MINISTRE : La fiancée de ce Templemore. C'est la fille du vieux Cuthbert. Cuthbert Greame, vous savez bien, l'anthropologue.
DRAPER : Eh bien ?
LE MINISTRE : Eh bien, n'est-elle pas la filleule d'une amie de Lady Draper ?
DRAPER : Ah ! C'était donc cela. Alors ne craignez rien. Je respecte mon épouse et j'ai beaucoup d'affection pour elle ; mais elle est, Dieu merci, restée malgré son âge délicieusement frivolelégère, superficielle, coquette, sans importance et ne se mêle jamais de mes affaires de magistratjuge.
LE MINISTRE : Les femmes sont à la fois curieuses et intuitivesmalignes, deux ingrédients d'un mélange trop souvent détonantexplosif, imprévisible...
DRAPER : Non, non, je vous assure, rien à craindre de ce côté. En somme, mon cher ministre, mettons les points sur les « i »clarifions les choses. On redoutecraint, on a peur, en haut lieu(ici : au ministère), que l'accusé soit disculpéinnocenté ?
LE MINISTRE : On redoute que les tropis, et la petite victime avec eux, soient tenus pourconsidérés comme, définis comme des animaux.
DRAPER (doucement) : N'est-ce pas la même chose ?
LE MINISTRE : Ceci dépasse ma compétence. Lady Draper vient d'entrer, couverte d'un bibiinénarrableindescriptible, en tulletissu transparent rose et vert pâle, fleurs de plumes.
LADY DRAPER : De qui parlez-vous ? De Douglas Templemore et de cette stupide histoire de singes ?
LE MINISTRE : Ou de sauvages, madame, ou de sauvages !
DRAPER (tombant des nuesExtrêmement surpris): Pourquoi ? vous connaissez ce garçon ?
LADY DRAPER : Non, je connais Sybil, la nièce de Rosalind. Il est presque cinq heures. Je peux vous emmener ?
DRAPER : Je vous rejoins dans cinq minutes.
LADY DRAPER : Que mijotiez-vousprépariea-vous, maniganciez-vous tous les deux ? Vous n'allez pas quand même envoyer ce bon jeune homme à la potence ?
DRAPER (ébahitrès surpris) : Mais, ma chère Elinor...
LADY DRAPER : Le futur gendre, ou presque, de ma meilleure amie!
DRAPER : D'une de vos cent soixante meilleures amies.
LE MINISTRE (inquiet) : J'insiste, mon cher juge : n'oubliez pas notre entretiendiscussion !
LADY DRAPER : Ni ce que je vous ai dit, mon cher Arthur.
LE MINISTRE : Chacun vous connaît d'ailleurs pour un homme de devoird'honneur, de confiance, un homme qui respecte son rôle, ...
LADY DRAPER : Et moi, je vous connais pour un homme de coeurgénéreux, empathique, altruiste. Ils se defient du regards'affrontent, se regardent longuement dans les yeux d'un air de défi.
DRAPER : Eh bien... selon toute apparence, me voici dans de beaux drapsune situation compliquée.
LE MINISTRE : Non, non, l'on vous connaît aussi pour un homme de ressourceplein d'idées, qui sait se débrouiller / trouver des solutions, Sir Arthur, et je gageje parie que vous saurez obtenir un verdictun jugement, une sentence qui contentera tout le monde. Allons, je dois abrégerraccourcir, finir, mettre un terme à cette visite amicale. Purement amicale. Lady Draper, je vous présente mes hommages. Vous portez là un ravissant chapeau. Mon cher, courage, bon travail, ne vous en faitesne vous inquiétez pas trop, mais pas trop peu non plus — ni tropi, ha! ha! Ne vous dérangez pas, bonsoir et à bientôt. Exit.
LADY DRAPER : Rosalind se fait tant de souci. N'écoutez pas ce nigaudcet idiot de ministre.
DRAPER : Il s'est montré fort aimable, au contraire. Si l'on m'a fait l'honneur de me désigner pour reprendre ce procès...
LADY DRAPER (riant) : Mais, mon pauvre Arthur, il est pour peu de chose dans cette désignation... C'est nous, Rosalind et moi, qui avons persuadé l'attorneymot anglais : attorney = avocat. général.
DRAPER (interloquétrès surpris, stupéfié furieux) : Vous ? Mais qu'est-ce qui vous a pris ?
[...] Tout en criant, il s'est dirigé vers la sortie.
LADY DRAPER (avant qu'il passe sur le seuil) : Arthur, qu'est ce que je peux dire de rassurant à cette petiteSybil (la fiancée de Douglas) ?
DRAPER (revenant et marchant sur son manteau) : Qu'elle peut se commander sa toilette de deuil !
LADY DRAPER (qui n'en croit rien, dans un soupir) : Oh, dear ... Elle sort derrière lui.