Nouvelle de Maupassant mise en scène dans
Les Amours inutiles

La serre de Guy de Maupassant, 26 juin 1883

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La serre

Palmyre et Gustave Lerebour vivent avec Céleste, leur bonne, près de Nantes, dans une maison achetée avec l'argent qu'ils ont gagné en vendant des tissus. Ils sont à la retraite.

La maison était entourée d'un beau jardin contenant basse-cour lieu ou cages pour les poules et les lapins, kiosque chinois et une petite serre tout au bout de la propriété le terrain, le jardin. M. Lerebour était court petit, rond et jovial souriant, joyeux (...). Sa femme, maigre, volontaire et toujours mécontente,(...) se teignaitse colorait les cheveux, lisait parfois des romans qui lui faisaient passer des rêves dans l'âme, bien qu'elle affectât fasse semblant de mépriser
"mépriser", définition d'Elix
ces sortes d'écrits. On la déclarait passionnée, sans qu'elle eût jamais rien fait pour autoriser cette opinion. Mais son époux disait parfois : "Ma femme, c'est une gaillarde femme gaie, pleine de vie et intéressée par les choses du sexe !" avec un certain air entendu qui éveillait des suppositions.


La serre dans une mise en scène
d'Eric Vanelle, Théâtre du Grand Rond

Depuis quelques années cependant elle se montrait agressive
"agressif", définition d'Elix
avec M. Lerebour toujours irritée énervée et dure, comme si un chagrin secret et inavouableimpossible à avouer, à dire l'eût torturée. Une sorte de mésintelligence un désaccord, un froid en résulta. Ils ne se parlaient plus qu'à peine, et madame, qui s'appelait Palmyre, accablaitécrasait, opprimait, critiquait sans cesse monsieur qui s'appelait Gustave, (...) d'allusions blessantesvexantes, de paroles acerbes dures, méchantes, sans raison apparente.

Il courbait penchait, baissait le dos, ennuyé mais gai quand même; (...) il prenait son parti s'habituait, acceptait de ces tracasseries soucis, disputes, problèmes intimes. Il se demandait cependant quelle cause inconnue pouvait aigrir rendre dure, désagréable, malheureuse ainsi de plus en plus sa compagne sa femme , car il sentait bien que son irritation énervement, colère avait une raison cachée, mais si difficile à pénétrer comprendre, deviner qu'il y perdait ses efforts.

Il lui demandait souvent : "Voyons, ma bonne chère , dis-moi ce que tu as contre moi ? Je sens que tu me dissimulescaches quelque chose." Elle répondait invariablement toujours la même réponse : "Mais je n'ai rien, absolument rien. D'ailleurs si j'avais quelque sujetraison, cause de mécontentement, ce serait à toi de le deviner. Je n'aime pas les hommes qui ne comprennent rien, qui sont tellement mous et incapables qu'il faut venir à leur aide pour qu'ils saisissent comprennent la moindre des choses." Il murmurait, découragé : "Je vois bien que tu ne veux rien dire." Et il s'éloignait en cherchant le mystère.

Les nuits surtout devenaient très péniblesdésagréables pour lui ; car ils partageaient toujours le même lit (...). Elle choisissait le moment où ils étaient étendus côte à côte pour l'accabler attaquer, bombarder de ses railleriesmoqueries les plus vives. Elle lui reprochait principalement d'engraisser devenir gros : "Tu tiens toute la place, tant tu deviens gros. Et tu me sues transpires dans le dos comme du lard fondu. Si tu crois que cela m'est agréable !" Elle le forçait à se relever sous le moindre le plus petit prétexte raison, mauvaise raison, l'envoyant chercher en bas un journal qu'elle avait oublié, ou la bouteille d'eau de fleurs d'oranger qu'il ne trouvait pas, car elle l'avait cachée. Et elle s'écriait d'un ton furieux et sarcastique méprisant, moqueur : "Tu devrais pourtant savoir où on trouve ça, grand nigaud imbécile !"

Lorsqu'il avait errécherché pendant une heure dans la maison endormie et qu'il remontait les mains vides, elle lui disait pour tout remerciement : "Allons, recouche-toi, ça te fera maigrir de te promener un peu, tu deviens flasque mou (...)." Elle le réveillait à tout moment tout le temps en affirmant qu'elle souffrait de crampesdouleurs d'estomac et exigeaitvoulait, ordonnait qu'il lui frictionnât frotte le ventre (...). Il s'efforçait de la guérir désolé de la voir malade ; et il proposait d'aller réveiller Céleste, leur bonne. Alors, elle se fâchait tout à fait, criant :
"Faut-il qu'il soit bête, ce dindon homme stupide -là. Allons ! c'est fini, je n'ai plus mal, rendors-toi grande chiffe imbécile, personne inutile ." Il demandait : "C'est bien sûr que tu ne souffres plus ?" Elle lui jetaitdisait durement dans la figure : "Oui, tais-toi, laisse moi dormir, ne m'embête pas davantage pas plus, pas encore plus . Tu es incapable de rien faire, même de frictionnerfrotter une femme."
Il se désespérait : "Mais... ma chérie..."
Elle s'exaspéraits'énervait : "Pas de mais... Assez, n'est-ce pas. Fiche-moi la paixlaisse-moi tranquille, maintenant..." Et elle se tournait vers le mur.

Or une nuit, elle le secoua si brusquement, qu'il fit un bond de peur et se trouva sur son séant assis avec une rapidité qui ne lui était pas habituelle.


La Serre, Théâtre du Grand Rond

Il balbutia : "Quoi ?... Qu'y a-t-il ?..." Elle le tenait par le bras et le pinçait à le faire crier. Elle lui souffla dans l'oreillechuchota : "J'ai entendu du bruit dans la maison."

Accoutumé habitué aux fréquentes alertes alarmes, affolements de Mme Lerebour il ne s'inquiéta pas outre mesure pas beaucoup, et demanda tranquillement : "Quel bruit, ma chérie ?"
Elle tremblait, comme affolée, et répondit : "Du bruit... mais du bruit... des bruits de pas... Il y a quelqu'un."
Il demeurait incrédule sans la croire : "Quelqu'un ? Tu crois ? Mais non ; tu dois te tromper. Qui veux-tu que ce soit, d'ailleurs ?"
Elle frémissaittremblait : "Qui ?... qui ?... Mais des voleurs, imbécile !"
Il se renfonça doucement dans ses draps : "Mais non, ma chérie, il n'y a personne, tu as rêvé, sans doute."
Alors, elle rejeta la couverture et, sautant du lit, exaspérée énervée, n'en supportant pas plus : "Mais tu es donc aussi lâche qu'incapable ! Dans tous les cas, je ne me laisserai pas massacrer grâce àà cause de ta pusillanimité lâcheté , crainte, peur." Et saisissant les pinces de la cheminée, elle se porta debout, devant la porte verrouillée fermée à clef, dans une attitude de combat.

Emu par cet exemple de vaillance courage, honteux peut-être, il se leva à son tour en rechignant râlant, sans avoir envie , et sans quitter son bonnet de coton, il prit la pelle et se plaça vis-à-vis en face de sa moitié sa femme .

Ils attendirent vingt minutes dans le plus grand silence. Aucun bruit nouveau ne troubla le repos de la maison. Alors, madame, furieuse, regagna revint dans son lit en déclarant : "Je suis sûre pourtant qu'il y avait quelqu'un." Pour éviter quelque querelle dispute, il ne fit aucune allusion il ne parla pas pendant le jour à cette panique.

Mais, la nuit suivante, Mme Lerebour réveilla son mari avec plus de violence encore que la veille le jour d'avant et, haletante respirant vite, de peur, elle bégayait :
"Gustave, Gustave, on vient d'ouvrir la porte du jardin." Etonné de cette persistance insistance , il crut sa femme atteinte de somnambulisme , (...) quand il lui sembla entendre, en effet, un bruit léger sous les murs de la maison.

Il se leva, courut à la fenêtre, et il vit, oui, il vit une ombre blanche qui traversait vivement rapidement une alléechemin dans le jardin.

Il murmura, défaillant près de s'évanouir : "Il y a quelqu'un !" Puis il (...) s'affermit reprit du courage , et, soulevé tout à coup par une formidable colère de propriétaire (...), il prononça : "Attendez, attendez, vous allez voir" Il s'élança vers le secrétaire , l'ouvrit, prit son revolver , et se précipitacourut dans l'escalier. Sa femme éperdue folle (d'inquiétude) le suivait en criant : "Gustave, Gustave, ne m'abandonne pas, ne me laisse pas seule. Gustave ! Gustave !" Mais il ne l'écoutait guère pas ; il tenait déjà la porte du jardin.
Alors elle remonta bien vite se barricader s'enfermer à clé dans la chambre conjugale du couple .

Elle attendit cinq minutes, dix minutes, un quart d'heure. Une terreur folle l'envahissait. Ils l'avaient tué sans doute, saisi attrapé, garrotté attaché, étranglé. Elle eût mieux aimé elle aurait préféré entendre retentir les six coups de revolver , savoir qu'il se battait, qu'il se défendait. Mais ce grand silence, ce silence effrayant de la campagne la bouleversaitaffolait, lui faisait peur.
Elle sonna Céleste. Céleste ne vint pas, ne répondit point. Elle sonna de nouveau, défaillante, prête à perdre connaissance. La maison entière demeura muette resta silencieuse.
Elle colla contre la vitre son front brûlant, cherchant à pénétrer percer, voir les ténèbres la nuit, l'obscurité du dehors. Elle ne distinguait voyait rien que les ombres plus noires des massifs à côté des traces grises des chemins.

La demie de minuit sonna. Son mari était absent depuis quarante-cinq minutes. Elle ne le reverrait plus ! Non ! certainement elle ne le reverrait plus ! Et elle tomba à genoux en sanglotant pleurant .

Deux coups légers contre la porte de la chambre la firent se redresser d'un bond. M. Lerebour l'appelait : "Ouvre donc, Palmyre, c'est moi." Elle s'élança, ouvrit et debout devant lui, les poings sur les hanches, les yeux encore pleins de larmes : "D'où viens-tu, sale bête ! Ah ! tu me laisses comme ça à crever mourir de peur toute seule, ah ! tu ne t'inquiètes pas plus de moi que si je n'existais pas..." Il avait refermé la porte ; et il riait, il riait comme un fou, (...) les mains sur son ventre, les yeux humides.

Mme Lerebour stupéfaite très surprise, se tut (verbe: "se taire") .
Il bégayait : "C'était... c'était... Céleste qui avait un... un... un rendez-vous dans la serre ... Si tu savais ce que... ce que... ce que j'ai vu..." Elle était devenue blême pâle, blanche, étouffant d'indignation colère . "Hein ?... tu dis ?... Céleste ?... chez moi ?... dans ma... ma... ma maison... dans ma...ma... dans ma serre. Et tu n'as pas tué l'homme, un complice ! Tu avais un revolver et tu ne l'as pas tué... Chez moi... chez moi..." Elle s'assit, n'en pouvant plus.
Il battit il fit (faire) un entrechat, fit les castagnettes avec ses doigts, claqua de la langue, et, riant toujours : "Si tu savais... si tu savais..." Brusquement, il l'embrassa.
Elle se débarrassa elle le repoussa de lui. Et, la voix coupée par la colère : "Je ne veux pas que cette fille reste un jour de plus chez moi, tu entends ? Pas un jour... pas une heure. Quand elle va rentrer nous allons la jeter dehors..."
M. Lerebour avait saisi avait pris sa femme par la taille et il lui plantait des rangs de baisersl'embrassait dans le cou, des baisers à bruits, comme jadisautrefois. Elle se tutverbe: "setaire" de nouveau, percluse bloquée, immobile, figée par la surprise d'étonnement. Mais lui, la tenant à pleins bras, l'entraînait doucement vers le lit...

Vers neuf heures et demie du matin, Céleste, étonnée de ne pas voir encore ses maîtres qui se levaient toujours de bonne heure, vint frapper doucement à leur porte.

Ils étaient couchés, et ils causaient discutaient gaiement côte à côte. Elle demeura saisie très surprise , et demanda : "Madame, c'est le café au lait." Mme Lerebour prononça d'une voix très douce : "Apporte-le ici, ma fille, nous sommes un peu fatigués, nous avons très mal dormi."

À peine la bonne fut-elle sortie que M. Lerebour se remit à rire en chatouillant sa femme et répétant : "Si tu savais ! Oh ! si tu savais !" Mais elle lui prit les mains : "Voyons, reste tranquille, mon chéri, si tu ris tant que ça, tu vas te faire du mal." Et elle l'embrassa, doucement, sur les yeux.

Mme Lerebour n'a plus d'aigreurs irritations, énervements, colères . Par les nuits claires, quelquefois, les deux époux vont, à pas furtifs discrets, silencieux , le long des massifs et des plates-bandes jusqu'à la petite serre au bout du jardin. Et ils restent là blottis serrés l'un près de l'autre contre le vitrage la vitre de la serre comme s'ils regardaient au-dedans une chose étrange et pleine d'intérêt.
Ils ont augmenté les gages le salaire de Céleste.
M. Lerebour a maigri.