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Fabliaux du Moyen Age

Les trois bossus ménestrels

Usaiges est en Normandie
Que qui herbergiez est, qu’il die
Fablel, ou chançon lie à l’hoste


Les III. Boçus Menesterels
de Durand de Douai

Seignor, se vous volez atendre

Et .I. seul petitet entendre,
Jà de mot ne vous mentirai,

Mès tout en rime vous dirai

D'une aventure le fablel.
Jadis avint à .I. chastel,

Mès le nom oublié en ai,

Or soit aussi comme à Douay,
.I. borgois i avoit manant,

Qui du sien vivoit belemant.

Biaus hom ert, et de bons amis,
(...) Il avoit une bele fille,
Si bele que c'ert uns delis,
Et, se le voir vous en devis,
Je ne cuit qu'ainz féist Nature
Nule plus bele créature.

Les trois bossus ménestrels


Ménestrels (musiciens du Moyen Age)
Miniature tirée des Cantiques de Alfonso X de Castille, XIII° siècle

Si vous voulez bien me prêter attention m'écouter
Et m'écouter un petit instant,
En vérité, en rien je ne vous mentirai je ne vous mentirai pas ,
Mais tout en rime en poésie vous dirai
D'une aventure le récit.

Au temps jadis autrefois , dans une ville fortifiée
ville fortifiée de Carcassonne

Dont j'ai oublié le nom,
Disons que c'était à Douai,
Vivait un bourgeois
"bourgeois", définition d'Elix

Qui vivait confortablement de ses rentes sans travailler (car il avait beaucoup d'argent).

Il était bel homme et avait de bons amis,
Toute l'élite des bourgeois les gens les plus hauts placés, les plus importants, les plus riches de la ville.
Mais sa fortune n'était pas très grande ;
Cependant, il savait si bien s'y prendre,
Qu'on croyait en ville qu'il était fort riche.

Il avait une fille très belle,
Si belle que c'était un délice un grand plaisir de la regarder .
Et à dire vrai,
Je pense que jamais Nature ne fit
Plus belle créature femme.

Mais de sa beauté, j'éviterai
De parler ou de la décrire,
Car si je voulais m'en mêler,
Je pourrais bien vite m'embrouiller me perdre.
Ainsi vaut-il mieux présentement maintenant me taire
Que de dire quelque bêtise.

Il y avait en ville un bossu .
Jamais on n'avait vu pareil mufle visage laid, tête hideuse.
Pour ce qui est de la tête, il était vraiment bien pourvu
Et je crois que Nature avait mis
Tous ses soins à la lui faire.

En lui rien ne s'accordait rien n'allait bian ensemble,
Et il était vraiment difforme déformé, mal formé
Avec une tête énorme et une laide figure,
Un cou engoncé enfoncé dans de larges épaules,
Qui semblaient accrochées très haut.

Ce serait folie
Que de vouloir vous décrire
Son allure, tant il était laid.
Toute sa vie il s'était appliqué efforcé, concentré
A amasser prendre, garder de grandes richesses.

En vérité, je peux vous le dire,
Il était immensément riche
Et si le conte ne ment pas,
En ville, il n'y avait personne d'aussi riche.

Pour la raison l'origine de sa richesse , que vous en dire ? C'est son affaire
Au bossu de savoir d'où venait sa fortune.
Pour l'avoir l'argent, la richesse qu'il avait amassé
On lui donna la jeune fille,
Qui était si belle.

Mais jamais depuis qu'il l'eut épousée
Ne passa-t-il un seul jour sans souci
A cause de sa grande beauté.
Le bossu était si jaloux
Qu'il ne pouvait trouver le repos.

Tout le jour il tenait sa porte close fermée
Et ne laissait entrer quiconque personne
Qui chez lui n'apportât de l'argent
Ou venait lui en emprunter ;
Il passait ses journées assis sur le seuil de devant sa porte.

Il se trouva, un jour de Noël,
Que trois bossus ménestrels
Vinrent à lui, là où il était,
Et lui dirent chacun qu'ils voulaient
Célébrer fêter cette fête avec lui.

Car il n'y avait personne en ville
Chez qui ils puissent peuvent le faire,
Car il était de leur parenté famille
Et bossu tout comme eux.

Alors, notre homme les mène en haut,
Car la maison avait un étage ;
Le repas était préparé ;
Ils se sont tous assis pour dîner,
Et en vérité,
C'est un dîner excellent et riche :
Le bossu n'était ni avare ni chichepauvre,
Aussi traita-t-il bien ses compagnons ;
On leur servit pois au lard et chapons coq.

Et quand le dîner fut terminé,
Notre homme fit donner
Aux trois bossus, il me semble
A chacun vingt sous parisis,
Et ensuite il leur défendit interdit
De jamais se montrer revenir
En la maison ou en l'enclos la cour,
Car si on les y prenait si on les voyait là,
Un bain cruel les attendait
Dans l'eau froide du canal.

La maison donnait sur était à côté de la rivière
Qui était bien large et profonde.
Et quand les bossus l'eurent entendu,
Aussitôt ils quittèrent la demeure maison
Volontiers et le visage réjoui
Car ils avaient bien employé passé (bien réussi)
Leur journée, leur semblait-il.

Et notre homme s'en alla,
Puis s'installa sur le pont.
La dame, qui les bossus avait
Entendu chanter et se divertir s'amuser ,
Les fit tous trois rappeler,
Car elle voulait les entendre chanter ;
Et elle fit bien fermer les portes.

Comme les bossus chantaient
Et avec la dame se réjouissaient
Voilà que revient le maître de céans la maison (le maître, c'est le mari)
Qui n'avait pas été absent trop longtemps.

A la porte il appela avec force.
La dame entend son mari.
A la voix elle le reconnut bien ;
Et ne sut elle ne sait pas en cette terre
Que faire des bossus
Ni comment les cacher.


Coffres servant de lit
(Illustration de la bible historiale de Guyart des Moulins, 1470, British Museum, Londres)

Il y avait un bois de lit près du foyer du feu, de la cheminée
Qu'on avait coutume l'habitude de faire transporter ;
Dans le bois de lit, il y avait trois coffres .
Que vous dire ? A la fin,
Dans chacun les 3 coffres, elle mit un bossu.

Voilà le maître le mari revenu,
Il s'est assis auprès de la dame,
Dont il fait tellement ses délices ;
Mais il n'y resta pas longtemps,
Sortit de la pièce et puis descend
De la maison, et puis s'en va.

La dame n'eut point de peine ne fut pas triste
De voir son mari descendre.
Elle veut faire partir les bossus
Qu'elle avait cachés dans les coffres ;
Mais elle les trouva tous trois expirés morts
Quand elle ouvrit les coffres.

Elle en fut bien ébahiesurprise
Quand elle trouva morts les trois bossus.
A la porte elle se précipita courut et appela
Un portefaix porteur qu'elle avisa vit, aperçu ;
Auprès d'elle, la dame l’a appelé.

Quand le jeune homme l'eut entendue,
Il courut à elle, sans tarder.
"Ami, dit-elle, écoute-moi :
Si tu me veux jurer ta foi tu me promets
Que jamais tu ne m'accuseras
D'une chose que tu m'entendras dire,
Tu recevras une riche récompense de l'argent ;
Ce sont trente livres en bons deniers
Que je te donnerai, quand tu l'auras fait."

Quand le portefaix entendit un tel discours,
Il jura volontiers,
Car il convoitait les deniers voulait l'argent,
Et était fort intéressé.
A toute vitesse, il monta l'escalier.

La dame ouvrit l'un des coffres :
"Ami, ne soyez pas étonné,
Portez-moi ce mort dans l'eau,
Ainsi vous m'aurez rendu grand service."

Elle lui donne un sac, et il s'en saisit il le prit ;
Et y fourre met le bossu sur le champ immédiatement ,
Puis il l'a porté sur ses épaules
Et a dévalé est descendu rapidement les marches ;
Il se rendit alla à la rivière en courant ;
Tout droit sur le grand pont devant,
Dans l'eau, il jeta le bossu ;
Il n'attendit pas davantage,
Mais retourna vers la maison.

La dame a tiré du petit lit
L'un des bossus à bien grand peine avec difficulté .
Le souffle lui en manqua presque ;
Elle fut bien fatiguée de l'avoir soulevé
Puis elle s'en est un peu éloignée.

Et voici le portefaix qui revient en toute hâte rapidement ;
"Dame, dit-il, payez-moi maintenant ;
Je vous ai bien délivré du nain.
- Pourquoi vous êtes-vous donc joué moqué de moi,
Dit-elle, maître fou vilain ?
Déjà le nain est revenu ici ;
Vous ne l'avez donc point pas jeté à l'eau
Vous l'avez ramené avec vous
Voyez-le là, si vous ne me croyez pas.

- Comment par cent diables
Est-il donc revenu céans ici ?
J'en suis tout émerveillé très étonné :
Il était mort, ce me semble,
C'est un diable antéchrist,
Mais qu'à cela ne tienne ce n'est pas grave, peu importe, par saint Rémi."

Il saisit prit alors l'autre bossu,
Le met dans son sac, puis le hisse il le lève, le met
Sur ses épaules, il n'en sent pas le poids ;
De la maison il sort rapidement :
Et la dame tout aussitôt
De tirer du coffre le troisième bossu ;
Elle le couche tout près du feu :
Et se rend aussitôt vers la porte.
Le portefaix en l'eau précipite jette
Le bossu la tête la première :
"Allez, soyez honni maudit,
Dit-il, si vous revenez."

Puis en vitesse il s'en est retourné il est revenu,
Réclamer demander à la dame son paiement.
Et celle-ci, sans nul autre discours,
Lui dit qu'elle va bien le payer.
Sitôt aussitôt, immédiatement au foyer devant la cheminée elle le mène
Comme si elle ne savait rien
Du troisième bossu qui gisait était allongé là.

"Voyez, dit-elle, grande merveille chose incroyable, magique !
Qui donc entendit jamais la pareille ?
Regardez, le bossu est encore couché là."

Le jeune homme ne rit pas
Quand il le vit étendu auprès du feu :
"Vois donc, dit-il, par le saint corps de Dieu !
Qui vit jamais un ménestrel musicien semblable ?
Ne ferai-je donc aujourd'hui
Que porter ce vilain bossu ?
Toujours ici je le retrouve revenu
Alors que je l'ai précipité jeté dans l'eau."

Il fourra mit (mettre) alors le troisième dans le sac,
Et le mit avec rage sur son dos :
La colère et la fureur l'agitent violemment.
Il s'en retourne, plein d'irritation colère ,
Rapidement il descend les marches ;

Il a déchargé posé le troisième bossu,
Dans l'eau, il l'a balancé a jeté :
"Va-t-en, dit-il, au diable vif,
Tant je t'aurai aujourd'hui porté ;
Si jamais je te vois aujourd'hui revenir ;
C'est trop tard que tu t'en repentiras tu le regretteras, mais ce sera trop tard.
Je crois que tu m'as ensorcelé,
Mais par Dieu qui me fit naître,
Si jamais aujourd'hui tu viens aprèsderrière moi,
Et que je trouve bâton ou épée,
Je t'en frapperai sur le crâne,
Qui en portera la marque sanglante."

A ces mots, il se retourna,
Et se dirigea vers la maison ;
Avant qu'il eut monté les marches,
Il regarda derrière lui,
Et vit le maître de céans le mari bossu qui revenait.

Le bonhomme ne goûte pas n'aime pas la plaisanterie :
De sa main, il s'est trois fois signé faire le signe de croix: signe chrétien pour être protégé par dieu,
Appelant à l'aide au nom du Seigneur Dieu ;
Il en est tout bouleverséeffrayé.

"Par ma foi, dit-il, celui-ci est bien enragé
Qui si près des talonsjuste derrière moi me suit
Qu'à peine me quitte-t-il.
Par la rotule de saint Maurand,
Il me tient bien pourpense que je suis rustre imbécile
Que je ne le puis si bien transporter
Que déjà il se veuille amuser il veuille s'amuser
Aussitôt à revenir après moi."

Il court alors pour des deux mains saisir prendre
Un marteau qu'il voit pendantaccroché à la porte,
Puis revient aux marches en courant.
Le maître était déjà presque monté :
"Comment, Monsieur le bossu, êtes-vous revenu ?
Cela me semble d'un naturelcaractère bien entêté ;
Mais par le corps de Notre Dame,
Vous avez eu tort de retournerrevenir cette fois ;
Vous me prenez bien pour un sotidiot."

Il leva alors le marteau
Et lui donna un tel coup
Sur la tête qu'il avait si grande,
Que la cervelle s'en répandit ;
Il l'abattit définitivementle tua sur les marches.

Et puis il l'a fourréa mis dans le sac ;
D'une corde il en a liéa attaché, a fermé l'ouverture ;
En vitesse il se met en route ;
Et donc, il l'a balancéa jeté dans l'eau
Avec le sac qu'il avait attaché ;
Car il avait terriblement peur
Qu'il n'allât encore le suivre.
"Va au fond, dit-il, à malheur !
Je crois bien être plus sûr
Que tu ne reviendras pas
Que de voir les bois reverdir."

Il s'en vint aussitôt vers la dame ;
Pour lui réclamer son paiement,
Puisqu'il a très bien exécutésuivi, écouté ses ordres.
La dame ne fit point de discours,
Elle paya fort bien au jeune homme
Les trente livres, il n'en manqua pas une ;
Complètement à son gré elle l'a payé ;
Combien joyeuse fut-elle du marché elle fut très heureuse de cette affaire,
Disant qu'il fait une bonne journée
Depuis qu'il l'a délivrée
De son mari qui était si laid.

Elle croit bien qu'elle n'aura jamais
De chagrin, aucun jour de la vie
Puisqu'elle est délivrée de son mari.
Durand qui termine son conte
Dit que jamais Dieu ne créa fille
Qu'on ne put avoir pour de l'argent ;
De même, Dieu ne fit bien si précieux,
Si estimable ou de grand prix soit-il,
A dire la vérité,
Qui pour de l'argent ne puisse s'acquérir.

Avec ses deniersson argent, le bossu eut
La dame qui était si belle.
Honnimaudit soit l'homme, quel qu'il soit,
Qui trop apprécie les mauvais deniers
Et qui le premier les fit frapper.