Le jeune homme chevauchapartit à cheval toute la journée et passa la nuit dans la forêt. Au matin, avec le chant des oiseaux, il reprit la route. Il aperçut alors une tente dans une verte prairie, à côté d'une source . Cette tente était extraordinairement belle : vermeillerouge vif d'un côté, verte de l'autre, et décorée de bandes brodées d'or ; au sommet, un aigle d'or que les rayons du soleil faisaient briller. Le jeune homme alla vers la tente en se disant : « SeigneurDieu, c'est votre maison que je vois ! Elle avait bien raison, ma mère, de me dire qu'une église est la plus belle chose au monde. Je vais aller adorerprier Dieu le Créateur ; et je lui demanderai de me donner aujourd'hui de quoi manger, car j'ai grand-faim.»
Il arriva à la tente et la trouva ouverte. Au milieu, un lit magnifique recouvert d'un drap de soie. Sur ce lit, une demoiselle était endormie. Ses suivantesservantes étaient allées cueillir des fleurs fraîches. Quand le jeune homme entra, son cheval trébucha, et la jeune fille s'éveilla en sursaut. Naïvement, il lui dit :
— Demoiselle, je vous salue, comme ma mère me l'a appris. Elle m'a bien recommandédit, conseillé de saluer les jeunes filles.
La demoiselle tremblait de peur, car le garçon lui semblait fou. Elle-même se tenait pourse disait qu'elle était folle d'être restée ainsi toute seule.
— Jeune homme, passe ton cheminva-t-en, pars, lui dit-elle, avant que mon amifiancé ne te trouve ici !
— Avant de partir, je dois vous donner un baiser ! C'est ce que ma mère m'a enseigné.
— Jamais tu ne m'embrasseras, répondit-elle. Fuis avant que mon ami ne vienne ! Il s'appelle l'Orgueilleux de la Lande, et c'est un chevalier redoutableterrible, puissant, dangereux : il te tuera !
Mais le jeune homme était robustefort. Il la prit dans ses bras maladroitement ; elle eut beau se débattre, il l'immobilisa et lui prit vingt baisers à la suite, sans qu'elle puisse l'en empêcher. C'est alors qu'il vit à son doigt un anneauune bague orné d'une belle émeraude.
— Ma mère m'a dit aussi de prendre votre anneau. Allons, donnez-le-moi, je le veux !
— Mon anneau, tu ne l'auras jamais. Il faudra me l'arracher de force !
Le jeune homme lui prit la main, déplia le doigt de force et saisit l'anneau. Il le mit à son doigt en disant :
— Jeune fille, grand merci ! Je suis fort content de vous avoir rencontrée : vos baisers étaient bien agréables.
Elle se mit à pleurer, le suppliant :
— N'emporte pas mon petit anneau ! J'aurai de graves ennuisproblèmes, et toi, tu risques de perdre la viemourir, tôt ou tardun jour, maintenant ou plus tard, je te l'assure.
Mais le jeune homme ne s'en souciait guères'en fichait. Ce qui le tourmentaitl'embêtait, lui posait problème, c'était qu'il mourait de faim. Il vit un petit tonneau de vin, avec un hanap d'argent ; à côté, une serviette bien blanche. Il la souleva et trouva dessous trois pâtés de chevreuil
. Tout content, il entamacommença à manger de bon appétit un des pâtés et se versa du vin dans la coupe
d'argent. Ce vin était délicieux et il en but de grandes rasadesgorgées. Après cela, il se tourna vers la jeune fille :
— Demoiselle, je ne pourrai pas manger à moi tout seul ces pâtés. Venez m'aider, ils sont excellentsdélicieux. Chacun aura le sien, et il en restera encore un !
Mais la jeune fille ne cessait den'arrêtait pas de, continuait à pleurer à chaudes larmesbeaucoup, très fort, avex beaucoup de larmes. Elle le laissa manger et boire autant qu'il le voulait. Quand il eut fini, il lui dit adieu :
— Que Dieu vous protège, chère amie ! Ne vous faites pas de souciinquiétez pas pour cet anneau que j'emporte. Je saurai bien vous en récompenserremercier.
La jeune fille resta seule, en larmes. Elle savait bien qu'à cause de lui elle devrait souffrir honte et tourmentssouffrances, problèmes. Elle aurait à subir de grands malheurs, et ce n'était pas lui qui pourrait l'aider.
Peu de temps après, l'Orgueilleux de la Lande revint de la chasse. Il vit les traces des sabots d'un cheval, et cela lui déplutcela ne lui plut pas (déplaire # plaire), il était mécontent. Trouvant son amie qui pleurait, il lui dit :
— Demoiselle, je vois bien à ces traces qu'un chevalier est passé par là.
— Non, seigneur, je vous le jure. C'est seulement un jeune Gallois déplaisant désagréable, vulgairesauvage, non noble, du peuple et sotstupide, bête, ignorant, qui a bu de votre vin et mangé vos trois pâtés.
— Et c'est pour cela que vous pleurez ? Il aurait bien pu boire et manger le tout, cela m'est bien égalje m'en fiche !
— Ce n'est pas tout, seigneur. Il m'a arrachépris de force mon anneau et l'a emporté avec lui. J'aurais préféré être morte !
L'autre se troublase fâcha et dit, plein de colère :
— Ma foi, c'est un grand outrageinsulte, immense manque de respect ! Mais n'y a-t-il eu rien d'autre ? J'ai l'impression que vous me cachez quelque chose !
- Seigneur, il m'a pris un baiser.
- Un baiser ?
- Eh oui, mais ce fut malgré moije n'étais pas d'accord, j'ai résisté.
- Non, non, dites plutôt que cela vous a bien plu ! Vous n'avez guèrepas résisté. Croyez-vous que je ne vous connaisse pas ? Je sais comment sont les femmes. Eh bien, sachez que vous avez pris un mauvais chemin, car je vais me venger. Votre cheval n'aura plus d'avoine ; s'il meurt, vous me suivrez à pied. Quant à vous, vous n'aurez pas d'autres vêtements que ceux que vous portez aujourd'hui ; ils pourront tomber en lambeauxdevenir très vieux, être déchirés, être très abîmés . Et ce châtimentcette punition durera jusqu'à ce que je puisse tranchercouper la tête de celui qui m'a fait un tel affrontinsulté, gravement ma nqué de respect.