Récits d'aventure: les pirates

L'île au Trésor

de Stevenson, 1883

Après la mort de Bill, Jim et sa mère ont découvert une carte au trésor en fouillant dans son coffre. Mais les pirates reviennent pendant la nuit à l'auberge pour récupérer leur plan. Jim et sa mère fuient pour se cacher sous un pont. L'adolescent revient discrètement pour observer ce qui se passe à l'Auberge.

la fin de l'aveugle

Ma curiosité, du reste, l’emporta sur ma peur. Je me sentis incapable de rester dans ma cachette, et, rampant à reculons, regagnai la bergele bord de la rivière. De là, dissimulécaché derrière une touffe de genêt, j’avais vue sur la route jusque devant notre porte. À peine étais je installé, que mes ennemisle groupe de pirates qui veulent le plan de l'île au trésor arrivèrent au nombre de sept ou huit, en une course rapide et désordonnéepas organisée. L’homme à la lanterne les précédait de quelques pasmarchait devant. Trois couraient de frontl'un à côté de l'autre, se tenant par la main, et au milieu de ce triogroupe de trois je devinai, malgré le brouillard, le mendiant aveugle. Un instant plus tard, sa voix me prouvait que je ne me trompais pas.
EnfoncezCassez la porte ! cria-t-il.
– On y va, monsieur ! répondirent deux ou trois des sacripantsbandits, voyous qui s’élancèrent vers l’Amiral Benbowl'Auberge, suivis du porteur de lanterne.
Je les vis alors faire haltes'arrêter et les entendis converser à mi voixdiscuter à voix basse, chuchoter, comme s’ils étaient surpris de trouver la porte ouverte.
Mais la haltepause fut brèvecourte, car l’aveugle se remitrecommença à lancer des ordres. Il élevait et grossissait le tonhaussait, montait la voix, brûlant d’impatience et de rage.
– Entrez ! entrez donc ! cria-t-il, en les injuriant pour leur lenteur.

Quatre ou cinq d’entre eux obéirent, tandis que deux autres restaient sur la route avec le redoutableterrible, effrayant, dangereux mendiant. Il y eut un silence, puis un cri de surprise, et une exclamation jaillitun cri sortit de l’intérieur :
– Bill est mort !
Mais l’aveugle maudit à nouveau leur lenteur. Il hurla :
– Que l’un de vous le fouille, tas de fainéants , et que les autres montent chercher le coffre !

Je les entendis se ruerse précipiter, monter en courant dans notre vieil escalier, avec une violence à ébranlersecouer, agiter toute la maison. Presque aussitôt de nouveaux cris d’étonnement s’élevèrent ; la fenêtre de la chambre du capitaine s’ouvrit avec fracasun bruit violent dans un cliquetisbruit de carreauxpetites vitres cassés, et un homme apparut dans le clair de lune, la tête penchée, et d’en haut interpellaappela l’aveugle sur la route :
– Pew, cria-t-il, on nous a devancésquelqu'un est venu avant nous ! Quelqu’un a retournéfouillé le coffre de fond en comblecomplètement.
– Est-ce que la chose y est ? rugithurla (= cria comme un lion) Pew.
– Oui, l’argent y est !
Mais l’aveugle envoya l’argent au diable.
– Le paquet de Flint(Flint est le pirate qui a caché le trésor), je veux dire !
– Nous ne le trouvons nulle part, répliqua l’individul'homme.
– Hé ! ceux d’en bas, est-il sur Bill ? cria de nouveau l’aveugle.

Là-dessus, un autre personnage, probablement celui qui était resté en bas à fouillerchercher sur le cadavre du capitaine, parut sur le seuil à l'entrée de l’auberge :
– Bill a déjà été fouillé : ses poches sont vides.
– Ce sont ces gens de l’auberge, c’est ce gamin… Que ne lui ai-je arraché les yeux !Pourquoi je ne lui ai pas arraché les yeux ! cria l’aveugle. Ils étaient ici il n’y a qu’un instant : la porte était verrouilléefermée à clef quand j’ai essayé d’entrer. Cherchez partout, garçons, et trouvez-les-moi.
– C’est juste, à preuve qu’ils ont laissé leur camouflelampe, bougie ici, cria l’homme de la fenêtre.
Grouillez (familier) Dépêchez-vous donc ! ChambardezFouillez, détruisez la maison, mais trouvez les-moi ! réitéradit, répéta Pew, en battant la route de sa canne.

Alors, du haut en bas de notre vieille auberge, il se fit un grand tohu-bohuvacarme, bruit violent de lourdes semellespas, chaussures courant çà et là, de meubles renversés et de portes enfoncées, à réveiller tous les échos du voisinage ; puis nos individus reparurentrevinrent l’un après l’autre sur la route, déclarant que nous étions introuvables. Mais à cet instant le même sifflet qui nous avait inquiétés, ma mère et moi, alors que nous étions à compter l’argent du défunt capitainecapitaine mort, retentit dans la nuit, répété par deux fois. J’avais cru d’abord que c’était là un signal de l’aveugle pour lancer ses troupes à l’assautl'attaque ; mais je compris cette fois que le son provenait de la hauteur vers le hameaugroupe de maisons, et, à en juger par son effet sur les flibustierspirates, il les avertissait de l’approche du périldanger.
– C’est encore Dirk, dit l’un. Deux coups, les gars ! Il s’agit de décanilleril faut filer, partir, se sauver !
– De décaniller, caponlâche ! s’écria Pew. Dirk n’a jamais été qu’un lâche imbécile, ne vous occupez pas de lui… Ils doivent être tout près. Impossible qu’ils Jim et sa mère soient loin. Vous les avez à portée de la mainprès de vous. GrouillezDépêchez-vous et cherchez après, tas de salauds ! Le diable ait mon âme ! Ah ! si j’y voyais !

Cette harangueCe discours ne resta pas sans effetrésultats, conséquence ; deux des coquinsbandits, pirates se mirent à chercher çà et là parmi le saccage, mais plutôt à contrecoeursans envie et sans cesser de penser à la menace de danger. Les autres restèrent sur la route, irrésolusne sachant pas quoi faire.
– Vous avez sous la main des mille et des mille, tas d’idiots, et vous hésitez ! Vous serez riches comme des rois si vous trouvez l’objet. Vous savez qu’il est ici, et vous tirez au flancne faites pas d'efforts ! Pas un de vous n’eût osé affronter Bill, et je l’ai affronté, moi un aveugle ! Et je perdrais ma chance à cause de vous ! [...] Si vous aviez seulement le courage d’un cancrelatcafard qui ronge un biscuit, vous les auriez déjà empoignés.
– Au diable, Pew ! grommela l’un. Nous tenons les doublonspièces d'or !
– Ils auront caché ce sacré machin, dit un autre. Prends les georgesles pièces, Pew, et ne reste pas ici à beugler(familier) crier, hurler.

C’était le cas de le dire, tant la colère de Pew s’exaltait devant ces objectionsremarques. À la fin, la rage le domina tout à fait ; il se mit à taper dans le tas au hasard, et son bâton résonna sur plusieurs crânes. De leur côté, les malandrinsvoleurs, sans pouvoir réussir à s’emparer de l’arme et à la lui arracher, agonisaientcouvraient d'injures, insultaient leur tyranchef d’injures et d’atroces menaces.

Cette rixebagarre fut notre salutnous sauve. Elle durait toujours, lorsqu’un autre bruit se fit entendre, qui provenait de la hauteur du côté du hameau – un bruit de chevaux lancés au galop. Presque en même temps, l’éclair et la détonationle bruit d'un coup de feu d’un coup de pistolet jaillirent d’une haie. C’était là, évidemment, le signal du sauve-qui-peutde la fuite, car les flibustierspirates prirent la fuite aussitôt et s’encoururent chacun de son côté, si bien qu’en une demi-minute ils avaient tous disparu, sauf Pew. L’avaient-ils abandonné dans l’émoila peur, l'affolement de leur panique ou bien pour se venger de ses injures et de ses coups ? Je l’ignore. Le fait est qu’il demeuraresta seul, affolé, tapotant au hasard sur la route, cherchant et appelant ses camarades. Finalement il prit la mauvaise direction et courut vers le hameaugroupe de maisons. Il me dépassa de quelques pas, tout en appelant :
– Johnny, Chien-Noir, Dirk (et d’autres noms), vous n’allez pas abandonner votre vieux Pew, camarades… pas votre vieux Pew !

À cet instant, la cavalcadele groupe de cavaliers débouchaitarrivait, apparaissait sur la hauteur, et l’on vit au clair de la lune quatre ou cinq cavaliers dévalerdescendre la pente au triple galop.
Pew comprit son erreur. Avec un grand cri, il se détourna et courut droit au fossé, dans lequel il s’abattittomba. Il se remit sur piedreleva en une seconde et s’élança de nouveau, totalement affolé, en plein sous les sabots du cheval le plus proche.
Le cavalier tenta de l’éviter, mais ce fut en vainun échec. Avec un hurlement qui résonna dans la nuit, Pew tomba, et les quatre fersfers du cheval le heurtèrentfrappèrent et le martelèrentfrappèrent plusieurs fois (comme un marteau) au passage. Il roula de côté, puis s’affaissatomba mollement, la face contre terre, et ne bougea plus.

Je bondis, en hélantappelant les cavaliers. Ils s’étaient arrêtés au plus vite, horrifiés de l’accident. Je les reconnus bientôt. L’un, qui suivait les autres à distance, était ce gars du hameau qui avait couru chez le docteur Livesey ; les autres étaient des officiers de la douanedouaniers (policiers qui surveillent les frontières). Au XVIII° siècles, les douaniers surveillaient les côtes pour capturer les pirates qu’il avait rencontrés sur son chemin et qu’il avait eu le bon espritla bonne idée de ramener aussitôt. Les bruitsrumeurs, informations concernant le chasse-marée de la caledu quai de Kitt étaient parvenus aux oreilles de l’inspecteur Dance, et l’avaient amené ce soir-là de notre côté. C’est à ce hasard que ma mère et moi nous dûmes d’échapper au trépas à la mort.

Pew était mort, et bien mort. Quant à ma mère, une fois transportée au hameau, quelques gouttes d’eau froide et des sels eurent vite fait de la ranimerréveiller. Cependant, l’inspecteur galopait à toute vitesse jusqu’à la caleau quai de Kitt ; mais ses hommes durent mettre pied à terredescendre de cheval et descendre le ravinravin: creux profond entre deux colines à tâtons, en menant leurs chevaux et parfois les soutenant, le tout dans la crainte d’une surprise. Aussi, quand ils atteignirent la cale, le chasse-marée avait déjà pris la mer. Comme il était encore tout proche, l’inspecteur le hélal'appela. Une voix lui répondit qu’il eût à se garerpousser, écarter du clair de lune, s’il ne voulait recevoir du plombune balle de pistolet ou de fusil. En même temps, une balle siffla, lui éraflanttouchant le bras. Peu après, le chasse-marée doubla la pointepassa de l'autre côté des rochers et disparut. M. Dance resta là, selon son expression, « comme un poisson hors de l’eau », et il dut se contenter de dépêcherenvoyer un homme à B… pour avertir le cotre
voilier rapide
de la douane. Il ajouta : « C’est d’ailleurs bien inutile. Ils ont filé pour de bon, et la chose est réglée. À part cela, je me félicite d’avoir marché sur les corspieds à M. Pew. » Car à ce moment il avait ouïentendu mon récit.

Je m’en retournai avec lui à l’Amiral Benbow. On ne peut imaginer l’état de saccagedestruction où se trouvait la maison. Dans leur chasse frénétiquenerveuse, ces gredinsbandits avaient jeté bas jusqu’à l’horloge, et bien qu’ils n’eussent rien emporté que la bourse du capitaine et la monnaie du comptoir, je vis d’un coup d’oeil que nous étions ruinés. M. Dance, lui, ne comprenait rien au spectacle.
– Ils ont trouvé l’argent, dites-vous, HawkinsJim Hawkins ? Alors, que diantre cherchaient-ils ? D’autre argent, je suppose…
– Non, monsieur, je ne le pense pas, répliquai-je. Au fait, monsieur, je crois avoir l’objet dans ma poche, et, à vrai dire, j’aimerais le mettre en sûretésécurité.
– Bien entendu, mon petit, c’est très juste. Je vais le prendre, si vous voulez.
– Je songeaispensais que peut-être le docteur Livesey… commençai-je.
– Parfaitement juste, approuva-t-il. Parfaitement. C’est un galant homme et un magistrathomme de loi. Et maintenant que j’y pense, je ferais bien d’aller de ce côté, moi aussi, pour rendre compteinformer, faire un compte-rendu, à lui ou au chevalier. Maître Pew est mort, après tout ; non pas que je le regrette, mais il est mort, voyez-vous, et les gens ne demanderaient pas mieux que de se servir de cela contre un officier des douanes de Sa Majesté. Or donc, Hawkins, si vous voulez, je vous emmène.

Je le remerciai cordialement de son offre, et nous regagnâmes le hameau, où se trouvaient les chevaux. Le temps d’aviservoir et informer ma mère, et toute la troupe était en selle.
– Dogger, dit M. Dance à l’un de ses compagnons, vous avez un bon cheval ; prenez ce garçon en croupeà l'arrière du cheval.
Dès que je fus installé, me tenant au ceinturon à la grosse ceinture de Dogger, l’inspecteur donna le signal du départ, et l’on se mit en route au grand trot vers la demeuremaison du docteur Livesey.


Extrait de L'île au trésor ( Treasure Island), film de Peter Rowe
Vidéo non sous-titrée (attention, dans le film, le réalisateur a remplacé les personnages des parents de Jim par une grand-mère


Vocabulaire

Relevez les termes (= les mots) qui désignent les pirates.