Guy de Maupassant, 1850-1893
Claude Monet, Environs de Honfleur, neige, 1867
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une mornetriste plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois.
Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes.
L’hiver s’est abattu sur toute floraisonvégétation, fleurs ;
Des arbres dépouillésnus, sans feuilles dressent à l’horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi quecomme des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâterse dépêcher.
On dirait qu’elle a froid dans le grand ciel austèretriste, vide, sans joie, froid.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s’empresse àse dépêche de nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu’elle dardelance,
Fantastiques lueurs qu’elle s’en va semant (verbe: semer = planter) ;
Et la neige s’éclaire au loin, sinistrementlugubrement, tristement,
Aux étranges reflets de la clarté blafardepâle, blanchâtre.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n’ayant plus l’asilele refuge, la protection ombragé des berceauxnids,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglasla glace
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas.
Guy de Maupassant, Des vers, 1880