La Main , nouvelle de Guy de Maupassant

Texte adapté en français facile à lire et à comprendre (FALC)

M. Bermutier était juge d’instruction à Paris. Il était debout, dans un salon, le dos à la cheminée, entouré de plusieurs personnes : il donnait son avis sur un crime horrible et inexplicable dont tous les parisiens parlaient.

Plusieurs femmes s'étaient levées pour s'approcher et restaient debout pour écouter le juge. Elles frissonnaient de peur, pleines de curiosité pour ce crime.

L'une d'elles dit : «  C'est affreux. Cette histoire est surnaturelle. On ne connaitra jamais la vérité. »
Le juge se tourna vers elle et répondit : « Oui, madame, on ne saura(verbe: savoir) jamais rien. Mais il n’y a rien de surnaturel. Ce crime est simplement très bien organisé et très mystérieux : nous ne pouvons pas comprendre.
Autrefois, j’ai suivi une affaire où il semblait y avoir quelque chose de fantastique. Il a fallu l’abandonner car nous n’arrivions pas à l’expliquer. »
Plusieurs femmes dirent rapidement en même temps : « Oh! racontez-nous. »

M. Bermutier sourit. Il ajouta : « Je crois seulement aux causes normales. Quand on ne comprend pas, au lieu d'utiliser le mot "surnaturel" on devrait dire "inexplicable", cela serait beaucoup mieux.


La Corse

Voici l’histoire :
A cette époque, j’étais juge d'instruction en Corse, à Ajaccio. C’est une petite ville blanche qui s’étend au bord d'un admirable golfe qu'entourent partout de hautes montagnes.


Golfe d'Ajaccio

Je m’occupais surtout d’affaires de vendetta. Ce sont des affaires de vengeances terribles : des haines anciennes qui ne s’arrêtent jamais, des assassinats féroces. Depuis deux ans, je n'entendais parler que du prix du sang, que de ces vengeances qui touchent toute la famille et les descendants= enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants,.... J'avais vu égorger des vieillards hommes vieux, des enfants, des cousins...

Or, un jour, j'appris qu'un Anglais venait de louer une petite maison pour plusieurs années. Il avait amené avec lui un domestique français qui venait de Marseille. Cet homme était étrange : il vivait seul chez lui et il ne sortait que pour chasser et pour pêcher. Il ne parlait à personne, ne venait jamais à la ville, et, chaque matin, il s'exerçait à tirer au pistolet et à la carabine pendant une heure ou deux.

Des rumeurs se répandirent sur lui : les gens disaient que c’était un homme important qui avait fui son pays pour des raisons politiques et qu’il se cachait après avoir commis un crime épouvantable.

Il disait qu’il s’appelait sir John Rowell. Je cherchai des informations sur cet homme, mais je n’appris rien. Je le surveillai mais il ne se passait rien.

Mais les rumeurs sur cet homme continuaient et grossissaient"grossir" = devenir gros. Je décidai donc de rencontrer cet étranger, et je chassai régulièrement près de chez lui.

Un soir, je passai devant sa maison, je l'aperçus qui fumait sa pipe, assis sur une chaise, dans son jardin. Je le saluai"saluer = dire bonjour. C'était un grand homme à cheveux rouges, à barbe rouge, très haut, très large, calme et poli. Il m'invita à entrer pour boire un verre de bière. J’acceptai"accepter" = dire oui immédiatement.

Il m’accueillit avec une grande gentillesse = très gentiment. Il me parla avec admiration de la France, de la Corse, et il déclara"déclarer" = dire qu'il aimait beaucoup cette pays, cette rivage"le rivage" = le bord de la mer. Alors je lui posai quelques questions sur sa vie, sur ses projets. Il me raconta qu'il avait beaucoup voyagé, en Afrique, dans les Indes, en Amérique. Il ajouta en riant :
- J'avé eu bôcoup= j'ai eu beaucoup d'aventures, oh! yes.

Puis je parlai de chasse, et il me donna des détailsbeaucoup d'informations les plus curieux sur la chasse à l'hippopotame, au tigre, à l'éléphant et même la chasse au gorille.
Je dis : « Tous ces animaux sont redoutables. »
Il sourit : « Oh! nô, le plus mauvaisméchant c'étéc'était l’homme."
Il éclata de rire : « J'avéavais beaucoup chassé l'homme aussi. »

Puis il parla d'armes
, et il me proposa d'entrer chez lui pour me montrer ses fusils.

Quand j'entrai dans son salon, je vis(verbe: voir) une chose étrange au milieu d’un mur. Sur un carré de tissu rouge, il y avait un objet noir. Je m’approchai : c'était une main, une main d'homme. Pas une main de squelette, blanche et propre, non, mais une main noire desséchéesèche, avec les ongles jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien sur les os coupés au milieu de l'avant bras. Autour du poignet, une énorme chaîne de fer attachait la main au mur.   

Je demandai : « Qu’est-ce que c’est ? »
L'Anglais répondit tranquillement : « C’été maC'était mon meilleur ennemi. Il venévenait d'Amérique. Il avé été fendua été coupé avec le sabre et arraché la peau avec une caillou coupante, et séché dans le soleil pendant huit jours. Aoh, très bonne pour moi, cette. »

Je touchai cette main : elle avait appartenu à un homme géanttrès très grand. Les doigts, démesurémenttrès très longs, étaient attachés par des tendons énormestrès gros et grands. Cette main était affreuse à voir, écorchéesans la peau, elle faisait penser à une vengeance.

Je dis : « Cet homme devait être très fort.»
L'Anglais répondit avec douceur : « Aoh yes; mais je étéétais plus fort que lui. J'avéai mis cette chaîne pour le tenir. »
Je crus(verbe : croire) qu'il plaisantait. Je dis : « Cette chaîne maintenant est inutile, la main ne se sauvera pas. »
Sir John Rowell dit gravement : « Elle voulévoulait toujours s'en aller. Cette chaîne étéétait nécessaire. »
Je regardai rapidement son visage en me demandant : « Il est fou ou il se moque de moi ? » Mais il avait l’air très sérieux.

Je parlai d'autre chose et j'admirai les fusils. Je remarquai que trois revolvers chargés étaient posés sur les meubles, comme si cet homme avait toujours peur d’être attaqué.

Je revins(verbe : revenir) plusieurs fois chez lui. Puis je n'y allai plus. On s'était habitué à lui et les rumeurs s’était arrêtée.

Une année entière passa. Or, un matin, vers la fin de novembre, mon domestique me réveilla en m'annonçant que sir John Rowell avait été assassinétué dans la nuit. Une demi-heure plus tard, je pénétrairentrai dans la maison de l'Anglais avec les gendarmesles policiers. Le valetdomestique, affolé, pleurait devant la porte. Je pensai que cet homme était coupable, mais il était innocentinnocent # coupable.

On ne put(verbe : pouvoir jamais trouver le coupable.

En entrant dans le salon de sir John, j'aperçusapercevoir = voir immédiatement le cadavre l'homme mort étendu sur le dos, au milieu de la pièce.

Le gilet était déchiré, une manche était arrachée; on voyait qu’il y avait eu une lutte terrible.
L'Anglais était mort étranglé ! Son visage noir et gonflé, effrayant, exprimait une épouvante abominabletrès très grande peur; il tenait quelque chose entre ses dents serrées ; le cou avait cinq trous et il était couvert de sang.

Un médecin arriva. Il examinaregarda longtemps les traces des doigts dans la chairla peau (du cou) et il dit cette phrase étrange : « On dirait qu'il a été étranglé par un squelette. »

Je frissonnai et je regardai le mur, là où j'avais vu l’horrible main d'écorché. Elle n'y était plus. La chaîne était cassée. Alors je me baissai vers le mort. Dans sa bouche, je trouvai un des doigts de cette main : il était coupé par les dents juste à la deuxième phalange. Puis les gendarmespoliciers cherchèrent des indices. On ne découvrit(découvrir = trouver) rien. Aucune porte n'avait été forcéecassée, aucune fenêtre cassée, aucun meuble ouvert. Les deux chiens de garde ne s'étaient pas réveillés.

Voici ce que le serviteur a dit :
Depuis un mois, son maître semblait nerveux. Il avait reçu beaucoup de lettres et quand il les recevait, il les brûlait.
Souvent, il se mettait dans une grande colère. Il semblait fou ; il prenait une cravache et il frappait avec fureur la main séchée qui était accrochée au mur.
Sir Johan Rowell se couchaitallait dormir très tard et s’enfermait à clef. Il avait toujours des armes
près de lui. Souvent, la nuit, il parlait fort, comme s'il se disputait avec quelqu’un.

Cette nuit-là, il n'avait pas fait de bruit, et le domestique avait trouvé sir John assassiné quand il était venu ouvrir les fenêtres. Il ne soupçonnait personne.

La police fit(verbe : faire) une enquête dans toute l'île de la Corse. Mais on ne trouva rien.

Or, une nuit, trois mois après le crime, j'eus un affreux cauchemar. Dans mon cauchemar, je voyais la main, l'horrible main, courir sur mes rideaux et sur mes murs. Trois fois, je me réveillai, trois fois je me rendormis(se rendormir = dormir encore), trois fois je revis la main hideuseaffreuse courir autour de ma chambre en remuant les doigts comme des pattes.
Le lendemain, on m’apporta la main : quelqu’un l’avait trouvée dans le cimetière, sur la tombe de sir John Rowell. L'indexUn doigt manquait.

Voilà, mesdames, mon histoire. Je ne sais rien de plus.

Les femmes étaient pâles, frissonnantes. Une d'elles s’écria : « Mais il manque la fin et les explications ! Nous n'allons pas dormir si vous ne nous dites pas ce qui s'est passé. »

 Le juge sourit : « Oh! moi, mesdames, je pense tout simplement que le propriétaire de la main n'était pas mort et qu'il est venu la chercher. Mais je ne sais pas comment il a fait. C'est là une sorte de vendetta. »
Une des femmes murmura : « Non, ça ne doit pas être ça. »
  Et le juge d'instruction, souriant toujours, conclut : « Je vous avais bien dit que mon explication ne vous irait pas. »

23 décembre 1883