Tartuffe ou l'imposteur de Molière, 1664

Orgon est un bourgeois qui vit avec ses deux enfants (son fils Damis et sa fille Marianne) et sa seconde épouse, Elmire, bien plus jeune que lui. Orgon est aveuglé et manipulé par Tartuffe, un hypocrite et un faux dévotpersonne très croyante et très attachée à la religion et aux règles religieuses qu'il a installé dans sa maison.
Marianne doit épouser Valère. Mais Orgon veut lier Tartuffe à sa famille et décide de romprebriser, annuler son engagement envers Valère et de marier Marianne au dévot.
Elmire demande un rendez-vous privé à Tartuffe pour essayer d'empêcher ce mariage.

Acte III, scène 3

Tartuffe et Elmire (Damis caché)

--> doc de travail

Elmire
J'ai voulu vous parler en secret d'une affaire,
Et suis bien aise ici qu'aucunpersonne ne nous éclaireécoute.

Tartuffe
J'en suis ravitrès content de même, et sans doute il m'est doux,
Madame, de me voir seul à seul avec vous :
C'est une occasion qu'au Cielà Dieu j'ai demandée,
Sans que jusqu'à cette heure il me l'ait accordée.

Elmire
Pour moi, ce que je veux, c'est un mot d'entretiende conversation, de discussion,
Où tout votre coeur s'ouvre et ne me cache rien.

Tartuffe
Et je ne veux aussi pour grâce singulière
Que montrer à vos yeux mon âme tout entière,
Et vous faire serment que les bruitscritiques que j'ai faits
Des visites qu'ici reçoivent vos attraitsvotre beauté, votre charme
Ne sont pas envers vous l'effet d'aucune haine,
Mais plutôt d'un transport de zèle qui m'entraîne,
Et d'un pur mouvement...

Elmire
Je le prends bien ainsi,
Et crois que mon salutle salut de mon âme (qu'il faut sauver pour aller au Paradis) vous donne ce souci.

Tartuffe. Il lui serre le bout des doigts.
Oui, Madame, sans doute, et ma ferveurpassion, croyance est telle si forte que...

Elmire
Ouf ! vous me serrez trop.

Tartuffe
C'est par excès de zèle.
De vous faire autre mal je n'eus jamais desseinprojet, envie (= je n'ai jamais eu envie de vous faire du mal),
Et j'aurais bien plutôt...
(Il lui met la main sur le genou.)

Elmire
Que fait là votre main ?

Tartuffe
Je tâtetouche votre habit : l'étoffetissu en est moelleusedouce, souple.

Elmire
Ah ! de grâces'il vous plait, laissez, je suis fort chatouilleuse.
(Elle recule sa chaise, et Tartuffe rapproche la sienne.)

Tartuffe
Mon Dieu ! que de ce pointcette broderie l'ouvragetravail est merveilleux !
On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux ;
Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire.

  
Différentes mises en scène

Tartuffe de Th. Depagne, théâtre de l'Odéon

Elmire
Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.
On tientOn dit, on raconte que mon mari veut dégager sa foi annuler sa promesse (de mariage),
Et vous donner(donner en mariage) sa fille. Est−il vrai, dites−moi ?

Tartuffe
Il m'en a dit deux mots il m'en a parlé un peu ; mais, Madame, à vrai dire,
Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupirerêve, espère ;
Et je vois autre part les merveilleux attraits(ce qui attire: la beauté)
De la félicitéle bonheur qui fait tous mes souhaits.

Elmire
C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre vous aimez seulement les choses en lien avec le Ciel, la religion, la foi; vous n'aimez pas d'amour humain..

Tartuffe
Mon sein Ma poitrine n'enferme pas un coeur qui soit de pierre.

Elmire
Pour moi, je crois qu'au Ciel tendentvont, se dirigent tous vos soupirs,
Et que rien ici−bas n'arrête vos désirs vous ne désirez pas les choses terrestres, vous aimez seulement les choses du Ciel (de la religion).

Tartuffe
L'amour qui nous attache aux beautés éternelles
N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles l'amour pour les choses terrestres, l'amour pour les femmes;
Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvragescréations parfaits que le Ciel a formés Dieu a créés.
Ses attraits réfléchisles qualités de Dieu brillent dans vos pareilles les autres femmes ;
Mais ille Ciel, Dieu étalemontre, place en vous ses plus rares merveilles :
Il a sur votre facevisage épanché des beautés
Dont les yeux sont surpris, et les coeurs transportés(dominés, envahis),
Et je n'ai pu vous voir, parfaite créature,
Sans admirer en vous l'auteur de la natureDieu (= quand je vous vois, j'admire Dieu),
Et d'une ardentebrûlante, puissante amour sentir mon coeur atteinttouché,
Au plus beau des portraits où lui−même ilDieu s'est peint.
D'abord j'appréhendaije craignais, j'avais peur que cette ardeurpassion, amour secrète
Ne fût du noir espritle Malin, le Diable une surprise adroiterusée ;
Et même à fuir vos yeux mon coeur se résolutdécida de (= je décidai de vous fuir pour ne plus vous voir),
Vous croyant un obstacle à faire mon salut (le salut= sauver son âme au sens religieux).
Mais enfin je connus, ô beauté toute aimablequi provoque l'amour,
Que cette passion peut n'être point coupable,
Que je puis l'ajuster avecque(ancienne orthographe de "avec") la pudeur,
Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon coeurarrêter de résister à cet amour.
Ce m'est, je le confesseavoue, une audace bien grande
Que d'oser de ce coeur vous adresser l'offrande vous offrir mon coeur;
Mais j'attends en mes voeux tout de votre bonté,
Et rien des vains efforts de mon infirmité ;
En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétudetranquillité,
De vous dépend ma peine ou ma béatitudebonheur parfait,
Et je vais être enfin, par votre seul arrêtseule décision,
Heureux, si vous voulez, malheureux, s'il vous plaît.

Elmire
La déclaration est tout à fait galanteséduisante,
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
Vous deviez, ce me sembleil me semble, à mon avis, armer mieux votre sein,
Et raisonner un peu sur un pareil desseinprojet.
Un dévotintense croyant (en Dieu) comme vous, et que partout on nomme...

Tartuffe
Ah ! pour être dévot, je n'en suis pas moins homme ;
Et lorsqu'on vient à voir vos célestes appasattraits divins, beauté divine,
Un coeur se laisse prendreattraper, piéger, séduire, et ne raisonne pas.
Je sais qu'un tel discours de moi paraît étrange ;
Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange ;
Et si vous condamnez l'aveu que je vous fais,
Vous devez vous en prendre à vos charmants attraitsC'est votre faute car vous êtes trop belle, trop attirante.
Dès que j'en vis briller la splendeur plus qu'humaine,
De mon intérieur vous fûtes souverainevous avez dominé, possédé, contrôlé mon coeur ;
De vos regards divins l'ineffableinexprimable, indescriptible (car puissante) douceur
Força la résistance où s'obstinait mon coeur ;
Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes,
Et tourna tous mes voeux du côté de vos charmes.
Mes yeux et mes soupirs vous l'ont dit mille fois,
Et pour mieux m'expliquer j'emploie ici la voix.
Que si vous contemplez d'une âme un peu bénignedouce, bienveillante, gentille
Les tribulationsmalheurs, souffrances de votre esclave indigne,
S'il faut que vos bontés veuillent me consoler
Et jusqu'à mon néant daignent se ravaler,
J'aurai toujours pour vous, ô suave merveille,
Une dévotionadoration (au sens religieux) à nulle autre pareilleunique, exceptionnelle.
Votre honneurréputation avec moi ne court point de hasard,
Et n'a nulle disgrâce à craindre de ma part.
Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles,
Sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles,
De leurs progrès sans cesse on les voit se targuerse vanter ;
Ils n'ont point de faveurs qu'ils n'aillent divulguerraconter partout,
Et leur langue indiscrète, en qui l'on se confie,
Déshonore l'autel où leur coeur sacrifie la femme qu'ils aiment.
Mais les gens comme nous brûlent d'un feuamour discret,
Avec qui pour toujours on est sûr du secret :
Le soin que nous prenons de notre renomméeréputation
Répond de toute chose à la personne aimée,
Et c'est en nous qu'on trouve, acceptant notre coeur,
De l'amour sans scandale et du plaisir sans peur.

Elmire
Je vous écoute dire, et votre rhétoriquevotre raisonnement, vos arguments
En termes assez fortsmots assez clairs à mon âme s'explique.
N'appréhendez−vous point queVous n'avez pas peur que je ne sois d'humeur
A dire à mon mari cette galante ardeur,
Et que le prompt avisla nouvelle, l'information d'un amour de la sorte
Ne pût bien altérerdétruise l'amitié qu'il vous porte ?

Tartuffe
Je sais que vous avez trop de bénignitégentillesse,
Et que vous ferez grâce à ma téméritémon audace d'avoir osé quelque chose d'interdit,
Que vous m'excuserez sur l'humaine faiblesse
Des violents transportssentiments d'un amour qui vous blesse,
Et considérerez, en regardant votre air,
Que l'on n'est pas aveugle, et qu'un homme est de chair.

Elmire
D'autres prendraient cela d'autre façon peut−être ;
Mais ma discrétion se veut faire paraître.