L'épistolaire: lettres d'amour

Lettres de Victor Hugo et Juliette Drouet

Juliette Drouet a été la maitresse de Victor Hugo pendant 50 ans. Les deux amants ont échangé une longue et riche correspondance.


Lettre de Juliette Drouet

1833
Monsieur Victor Hugo, en ville.

Je t’ai quitté, mon ange, tu paraissais triste et mécontent.

Mon Victor, me serais-je attachée à ta vie comme un scorpion venimeux pour la flétrir et l’épuiser ? Déjà ton sourire frais et libre devient chaque jour plus rare. Tu es malheureux, Victor, et mon amour est un obstacle à ta tranquillité.

Je voudrais fuir, je voudrais te déchirer de moi, de mon amour qui devrait couronner ta vie de roses et la parfumer de bonheur et qui semble la couvrir d’un crêpe.

Mais l’air que tu ne respires pas me ferait mourir, mon Victor. Ton regard m’est plus nécessaire que le soleil et j’ai besoin de tes baisers pour rafraîchir mon âme et lui donner des forces. Le lien qui existe entre nous est celui qui me tient à la vie. Si je n’avais été ton amante j’aurais voulu être ton amie. Si tu m’avais refusé ton amitié, je t’aurais demandé à genoux d’être ton chien, ton esclave.

Mon âme est rongée par la pensée de ma situation. Mais je veux être seule à souffrir. Tu es trop faible, toi, pour supporter comme moi des nuits sans sommeil. Si tu mourrais, voudrais-tu m’empêcher de mourir avec toi ? Fou, le pourrais-tu ? N’es-tu pas mon âme et ma vie ? Et le chagrin qui chaque jour grossit comme une avalanche, le chagrin qui creuse l’âme goutte à goutte, n’est-ce pas une longue mort?

Je me suis donnée à toi tout entière, à toi ma vie, belle ou hideuse, riante ou sombre, poétique ou rampante dans la boue. Je n’ai rien voulu en retrancher de toi. Je veux la partie la plus précieuse de ton existence, ton amour car je crois, et laisse-le-moi croire, que l’amour peut mettre du miel dans la coupe la plus amère.

Tu m’appelles ange et suis un pauvre ange déchu. Mais l’amour élève si haut, mon Victor, tu verras repousser mes ailes et je t’enlèverai au ciel. Mais… Mais, et ici, je m’arrête. Je vais marcher sur un aspic qui va se retourner contre moi. Je vais mettre le pied sur un terrain mouvant. Écoute. Mais je ne veux pas que tu voies l’état de mon cœur en ce moment. Je ne veux pas que tu le regardes pour voir s’il saigne, que tu y portes le doigt pour voir si la blessure est large. Mes souffrances à moi je saurai les supporter. Je ne puis m’expliquer… Tâche de me comprendre.

Ils disent : «il n’est pour elle qu’un moyen, qu’un seul, de changer sa position.» Eh bien ! Victor, ce moyen tu le repousses. L’idée t’en fait frissonner. Victor, j’ai à subir des conséquences de ma vie passée, de ma vie sans amour. Il y a une plaie, il faut la brûler avec un fer rouge, il faut une souffrance, après la souffrance, des angoisses, après les angoisses.

Je souffrirai car je t’aime. Je t’aime tant. J’éprouverai d’affreuses tortures, mon cœur sera mâché, haché, et toi, toi !

Mais il faut couper le membre gangrené, il faut, à tout prix enterrer le cadavre qui se place, froid, entre nos baisers. Puis, comme les martyrs, nous trouverons une vie céleste, une nouvelle vie, que nous recommencerons ensemble, une vie d’oubli, de bonheur, de bonheur pur comme mon âme, car mon âme est restée pure quand mon corps a été profané, elle est montée au ciel, elle est restée pure et vierge.

Nous vivrons ensemble, pauvres et heureux, riches d’amour et de poésie. Si dans cette lettre quelque chose froisse ton cœur, pardonne, je l’expie par les larmes que je verse en t’écrivant.


Lettre de Juliette Drouet

1834
Pour toi,

Vous m’avez quittée bien vite, mon Victor. Vous paraissiez bien pressé de retourner parmi les beautés de tous les mondes qui s’étaient réunies ce soir pour vous enlever à moi.

Mais, prenez-y garde. Fussiez-vous au bout de la terre, avec la plus belle des Patagonaises, j’irai vous y retrouver, terrible et la hache à la main.

Mon Victor, je voulais te donner une preuve de bonne humeur et de résignation. Mais voilà que mes idées se rembrunissent, mes yeux se mouillent de larmes, je n’ai plus la force de plaisanter.

Je souffre de te savoir loin de moi au milieu des femmes qui voudront te plaire… au moins.

Mon Victor, n’oublie pas que je t’aime, qu’un seul de tes regards pour une autre femme que moi me ferait mourir.

Mon Victor, aime-moi, n’aime que moi, et je serai ta femme, ton amante, ton esclave, ton chien. Je baiserai tes pieds. Je mendierai s’il le faut. Mais aime-moi, n’aime que moi.

JULIETTE.


Lettre de Juliette Drouet

31 octobre 1839, jeudi soir, 5 h 3/4

Quel temps mon adoré et quelle longue absence !

Je suis plus triste et plus noire que le ciel. Je me fais peur, car je sens que si je continue à t’aimer avec cette impatience et ce désespoir, je n’en aurai pas pour longtemps.

J’ai le coeur serré et les yeux pleins de larmes et aussitôt que je regarde ton portrait, je pleure. Je ne peux pas m’habituer à cette affreuse séparation qui a remplacé la douce et ravissante intimité de nos deux mois de voyage.

Je ne sais plus où j’en suis. Il me semble que j’ai quelque chose de mort en moi et dont je porte le deuil dans ma pensée et dans mon âme.

Au reste, ce n’est que trop vrai : le bonheur vient de mourir pour nous. A peine si nous pourrons en ressaisir quelque semblant dans les courtes et rares apparitions que tu fais chez moi.

Quelle vie que la mienne, mon Dieu ! Ou plutôt quel amour, car toute autre femme aimant comme aime tout le monde trouverait ma vie fort douce et s’estimerait très heureuse de tout ce qui me désespère et me tue.

C’est un bien grand malheur, mon adoré, d’aimer trop. Je le sens aujourd’hui plus que jamais et, cependant, je ne voudrais pas aimer moins.

Je me plains parce que je t’aime. Mais, au fond, je suis heureuse et fière de mes souffrances car elles m’élèvent jusqu’à toi. Sans elles, je ne serais qu’une femme ordinaire aimant d’un amour ordinaire et que tu dédaignerais avec raison. Par elles, j’ai le droit de te demander ton amour, ton âme, ta vie, à défaut de ton corps et de ton génie.

Je t’aime à genoux et mieux que le bon Dieu ne l’est au ciel par ses anges.

Juliette


Lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet

16 février 1860

La vie avance, l’amour persiste. Il y a un Éden derrière nous, et un paradis devant nous. Car pour ceux qui se sont aimés dans la vie et qui entrent dans la mort en s’aimant, la tombe est étoilée ; c’est la porte du ciel. Que Dieu me donne la vie avec toi et la mort avec toi, voilà ce que je lui demande dans ma prière de tous les soirs. L’amour vieilli est de l’amour religieux ; il y a de la prière dans son baiser.

Cher doux ange, vieillissons donc avec joie, car le grand rajeunissement est proche. Il s’appelle l’éternité. L’amour dans l’éternité, quelle aurore ! — Aimons-nous et prions.

Victor Hugo


Lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet

Samedi 27 septembre 1876

J’étais mort, je suis vivant, tu es le sang de mon cœur, la clarté de mes yeux, la vie de ma vie, l’âme de mon âme.

Pour moi, tu es plus moi que moi-même. Je suis à jamais dans tes ailes.

Je t’adore éperdument et religieusement, ô mon ange !