L'action se passe en 1640. C'est l'histoire d'un triangle amoureux : Cyrano est secrètement amoureux de Roxane, sa cousine, qui aime Christian.
Cyrano et Christian sont tous deux soldats. Roxane demande à Cyrano de protéger l'homme qu'elle aime. Par amour pour Roxane, Cyrano accepte.
Cyrano est laid, défiguré par un grand nez, mais c'est un poète. Christian est beau mais il est incapable de faire un discours. Cyrano l'aide donc à écrire ses lettres pour Roxane.
A l'acte III, Christian décide d'avouer son amour à la jeune femme.
Cyrano :
Je sais tout ce qu’il faut. Prépare ta mémoire.
Voici l’occasion de se couvrir de gloireréussir, d'être aimé.
Ne perdons pas de temps. Ne prends pas l’air grognonbougon, mécontent.
Vite, rentrons chez toi, je vais t’apprendre...= je vais t'apprendre à bien t'exprimer, bien parler et bien écrire, à bien parler de sentiments et d'amour
Christian :
Non !
Cyrano :
Hein ?
Christian :
Non ! J’attends Roxane ici.
Cyrano :
De quel vertige
Es-tu frappédeviens-tu fou ? ? Viens vite apprendre…
Christian :
Non, te dis-je !
Je suis las J'en ai assez, ("las" = fatigué) d’emprunterde ne pas être l'auteur mes lettres, mes discours,
Et de jouer ce rôle, et de trembler toujours !…
C’était bon au début ! Mais je sens qu’elle m’aime !
Merci. Je n’ai plus peur. Je vais parler moi-même.
Cyrano :
Ouais !
Christian :
Et qui te dit que je ne saurai pas ?…
Je ne suis pas si bête à la fin ! Tu verras !
Mais, mon cher, tes leçons m’ont été profitablesm'ont été utiles, m'ont appris des choses.
Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables(ne pas traduire),
Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras !…
(Apercevant Roxane [...].)
— C’est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas !
Cyrano (le saluant.)
Parlez tout seul, Monsieur.
(Il disparaît derrière le mur du jardin.)
Christian et Roxane
ROXANE : (Roxane voit Christian.)
C’est vous !… (Elle va à lui.)
Le soir descend.
Attendez. [...] L’air est doux. Nul passantIl n'y a personne qui passe dans la rue.
Asseyons-nous. Parlez. J’écoute.
CHRISTIAN : (s’assied près d’elle, sur le banc. Un silence.)
Je vous aime.
ROXANE : (fermant les yeux.)
Oui, parlez-moi d’amour.
CHRISTIAN :
Je t’aime.
ROXANE :
C’est le thème.
Brodezembellissez, enjolivez, développez, rajoutez, brodez.
CHRISTIAN :
Je vous…
ROXANE :
Brodez !
CHRISTIAN :
Je t’aime tant.
ROXANE :
Sans doute. Et puis ?
CHRISTIAN :
Et puis… je serais si content
Si vous m’aimiez ! – Dis-moi, Roxane, que tu m’aimes !
ROXANE : (avec une moue.)
Vous m’offrez du brouet quand j’espérais des crèmes !
Dites un peu comment vous m’aimez ?…
CHRISTIAN :
Mais… beaucoup.
ROXANE :
Oh !… Délabyrinthezclarifiez, expliquez vos sentiments !
CHRISTIAN : (qui s’est rapproché et dévore des yeux la nuque blonde.)
Ton cou !
Je voudrais l’embrasser !…
ROXANE :
Christian !
CHRISTIAN :
Je t’aime !
ROXANE : (voulant se lever.)
Encore !
CHRISTIAN : (vivementrapidement, la retenant.)
Non ! je ne t’aime pas !
ROXANE : (se rasseyant.)
C’est heureux !
CHRISTIAN :
Je t’adore !
ROXANE : (se levant et s’éloignant.)
Oh !
CHRISTIAN :
Oui… je deviens sotbête !
ROXANE : (sèchementdurement, froidement.)
Et cela me déplaît déplaire # plaire, aimer !
Comme il me déplairaitje n'aimerais pas, cela ne me plairait pas que vous devinssiez(verbe : devenir) laid.
CHRISTIAN :
Mais…
ROXANE :
Allez rassembler votre éloquence en fuiteAllez apprendre à vous exprimer correctement, allez vous entrainer à bien parler !
CHRISTIAN :
Je…
ROXANE :
Vous m’aimez, je sais. Adieu.
(Elle va vers la maison.)
CHRISTIAN :
Pas tout de suite !
Je vous dirai…
ROXANE : (poussant la porte pour rentrer.)
Que vous m’adorez… oui, je sais.
Non ! Non ! Allez-vous-en !
CHRISTIAN :
Mais je…
(Elle lui ferme la porte au nez.)
CYRANO : (qui depuis un moment est rentré sans être vu.)
C’est un succès.
(Christian, Cyrano et les pagesjeunes serviteurs un instant.)
CHRISTIAN :
Au secours !
CYRANO :
Non monsieur.
CHRISTIAN :
Je meurs si je ne rentre
En grâcesi elle ne me pardonne pas, si elle ne m'aime plus, à l’instant même…
CYRANO :
Et comment puis-je, diantre !
Vous faire à l’instant même, apprendre ?…
CHRISTIAN : (lui saisissanttenant, attrapant le bras.)
Oh ! là, tiens, vois !
(La fenêtre du balcon s’est éclairée.)
CYRANO : (ému.)
Sa fenêtre !
CHRISTIAN : (criant.)
Je vais mourir !
CYRANO :
Baissez la voixParlez doucement, ne criez pas, parlez moins fort !
CHRISTIAN : (tout basparlant doucement.)
Mourir !…
CYRANO :
La nuit est noire…
CHRISTIAN :
Eh ! bien ?Et alors quoi ?
CYRANO :
C’est réparableOn peut tout arranger.
Vous ne méritez pas… Mets-toi là, misérable !
Là, devant le balcon ! Je me mettrai dessous…
Et je te soufflerai tes motsJe vais te dire discrètement les mots et phrases et tu vas les répéter..
CHRISTIAN :
Mais…
CYRANO :
Taisez-vous !
LES PAGES : (reparaissantrevenant au fond, à Cyrano.)
Hep !
CYRANO :
Chut !…
(Il leur fait signe de parler bas.)
[...] (bas, vite.)
Allez vous mettre en embuscadeguetter, surveiller, vous cacher
L’un à ce coin de rue, et l’autre à celui-ci ;
Et si quelque passant gênant vient par ici,
Jouez un airde la musique ![...]
Joyeux pour une femme, et pour un homme, triste !
(Les pages disparaissent, un à chaque coin de rue.)
(À Christian.)
Appelle-la !
CHRISTIAN :
Roxane !
CYRANO : (ramassant des cailloux qu’il jette dans les vitres.)
Attends ! Quelques cailloux.
(Roxane, Christian, Cyrano, d’abord caché sous le balcon.)
ROXANE : (entr’ouvrant sa fenêtre.)
Qui donc m’appelle ?
CHRISTIAN :
Moi.
ROXANE :
Qui, moi ?
CHRISTIAN :
Christian.
ROXANE : (avec dédain.)
C’est vous ?
CHRISTIAN :
Je voudrais vous parler.
CYRANO : (sous le balcon, à Christian.)
Bien. Bien. (Presque à voix basse.)
ROXANE :
Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en !
CHRISTIAN :
De grâce !…
ROXANE :
Non ! Vous ne m’aimez plus !
CHRISTIAN : (à qui Cyrano souffle ses mots.)
M’accuser, – justes dieux ! –
De n’aimer plus… quand… j’aime plus !
ROXANE : (qui allait refermer sa fenêtre, s’arrêtant.)
Tiens ! mais c’est mieux !
CHRISTIAN : (même jeu.)
L’amour grandit bercé dans mon âme inquiète…
Que ce… cruel marmot prit pour… barcelonnette !
ROXANE : (s’avançant sur le balcon.)
C’est mieux ! – Mais, puisqu’il est cruel, vous fûtes sot
De ne pas, cet amour, l’étouffer au berceau !
CHRISTIAN : (même jeu.)
Aussi l’ai-je tenté, mais… tentative nulle.
Ce… nouveau-né, Madame, est un petit… Hercule.
ROXANE :
C’est mieux !
CHRISTIAN : (même jeu.)
De sorte qu’il… strangula comme rien…
Les deux serpents… Orgueil et… Doute.
ROXANE : (s’accoudant au balcon.)
Ah ! c’est très bien.
– Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ?
Auriez-vous donc la goutte à l’imaginative ?
CYRANO : (tirant Christian sous le balcon, et se glissant à sa place.)
Chut ! Cela devient trop difficile !…
ROXANE :
Aujourd’hui…
Vos mots sont hésitants. Pourquoi ?
CYRANO : (parlant à mi-voix, comme Christian.)
C’est qu’il fait nuit,
Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille.
ROXANE :
Les miens n’éprouvent pas difficulté pareille.
CYRANO :
Ils trouvent tout de suite ? oh ! cela va de soi,
Puisque c’est dans mon coeur, eux, que je les reçois ;
Or, moi, j’ai le coeur grand, vous, l’oreille petite.
D’ailleurs vos mots à vous, descendent : ils vont vite.
Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps !
ROXANE :
Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants.
CYRANO :
De cette gymnastique, ils ont pris l’habitude !
ROXANE :
Je vous parle, en effet, d’une vraie altitude !
CYRANO :
Certe, et vous me tueriez si de cette hauteur
Vous me laissiez tomber un mot dur sur le coeur !
ROXANE : (avec un mouvement.)
Je descends.
CYRANO : (vivement)
Non !
ROXANE : (lui montrant le banc qui est sous le balcon.)
Grimpez sur le banc, alors, vite !
CYRANO : (reculant avec effroi dans la nuit.)
Non !
ROXANE :
Comment… non ?
CYRANO : (que l’émotion gagne de plus en plus.)
Laissez un peu que l’on profite…
De cette occasion qui s’offre… de pouvoir
Se parler doucement, sans se voir.
ROXANE :
Sans se voir ?
CYRANO :
Mais oui, c’est adorable. On se devine à peine.
Vous voyez la noirceur d’un long manteau qui traîne,
J’aperçois la blancheur d’une robe d’été.
Moi je ne suis qu’une ombre, et vous qu’une clarté !
Vous ignorez pour moi ce que sont ces minutes !
Si quelquefois je fus éloquent…
ROXANE :
Vous le fûtes !
CYRANO :
Mon langage jamais jusqu’ici n’est sorti
De mon vrai coeur…
ROXANE :
Pourquoi ?
CYRANO :
Parce que… jusqu’ici
Je parlais à travers…
ROXANE :
Quoi ?
CYRANO :
… le vertige où tremble
Quiconque est sous vos yeux !… Mais, ce soir, il me semble…
Que je vais vous parler pour la première fois !
ROXANE :
C’est vrai que vous avez une tout autre voix.
CYRANO : (se rapprochant avec fièvre.)
Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège
J’ose être enfin moi-même, et j’ose…
(Il s’arrête et, avec égarement.)
Où en étais-je ?
Je ne sais… tout ceci, – pardonnez mon émoi, –
C’est si délicieux… c’est si nouveau pour moi !
ROXANE :
Si nouveau ?
CYRANO : (bouleversé, et essayant toujours de rattraper ses mots.)
Si nouveau… mais oui… d’être sincère.
La peur d’être raillé, toujours au coeur me serre…
ROXANE :
Raillé de quoi ?
CYRANO :
Mais de… d’un élan !… Oui, mon coeur
Toujours, de mon esprit s’habille, par pudeur.
Je pars pour décrocher l’étoile, et je m’arrête
Par peur du ridicule, à cueillir la fleurette !
ROXANE :
La fleurette a du bon.
CYRANO :
Ce soir, dédaignons-la !
ROXANE :
Vous ne m’aviez jamais parlé comme cela !
[...]
Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux,
Quels mots me direz-vous ?
CYRANO :
Tous ceux, tous ceux, tous ceux
Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe,
Sans les mettre en bouquet : je vous aime, j’étouffe,
Je t’aime, je suis fou, je n’en peux plus, c’est trop ;
Ton nom est dans mon coeur comme dans un grelot,
Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne,
Tout le temps, le grelot s’agite, et le nom sonne !
De toi, je me souviens de tout, j’ai tout aimé.
Je sais que l’an dernier, un jour, le douze mai,
Pour sortir le matin tu changeas de coiffure !
J’ai tellement pris pour clarté ta chevelure
Que, comme lorsqu’on a trop fixé le soleil,
On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
Sur tout, quand j’ai quitté les feux dont tu m’inondes,
Mon regard ébloui pose des taches blondes !
ROXANE : (d’une voix troublée.)
Oui, c’est bien de l’amour…
CYRANO :
Certes, ce sentiment
Qui m’envahit, terrible et jaloux, c’est vraiment
De l’amour, il en a toute la fureur triste !
De l’amour, – et pourtant il n’est pas égoïste !
Ah ! que pour ton bonheur je donnerais le mien,
Quand même tu devrais n’en savoir jamais rien,
S’il se pouvait, parfois, que de loin, j’entendisse
Rire un peu le bonheur né de mon sacrifice !
– Chaque regard de toi suscite une vertu
Nouvelle, une vaillance en moi ! Commences-tu
À comprendre, à présent ? voyons, te rends-tu compte ?
Sens-tu mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ?…
Oh ! mais vraiment, ce soir, c’est trop beau, c’est trop doux !
Je vous dis tout cela, vous m’écoutez, moi, vous !
C’est trop ! Dans mon espoir même le moins modeste,
Je n’ai jamais espéré tant ! Il ne me reste
Qu’à mourir maintenant ! C’est à cause des mots
Que je dis qu’elle tremble entre les bleus rameaux !
Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles !
Car tu trembles ! car j’ai senti, que tu le veuilles
Ou non, le tremblement adoré de ta main
Descendre tout le long des branches du jasmin !
(Il baise éperdument l’extrémité d’une branche pendante.)
ROXANE :
Oui, je tremble, et je pleure, et je t’aime, et suis tienne !
Et tu m’as enivrée !
CYRANO :
Alors, que la mort vienne !
Cette ivresse, c’est moi, moi, qui l’ai su causer !
Je ne demande plus qu’une chose…
CHRISTIAN : (sous le balcon.)
Un baiser !
ROXANE : (se rejetant en arrière.)
Hein ?
CYRANO :
Oh !
ROXANE :
Vous demandez ?
CYRANO :
Oui… je…
(À Christian, bas.)
Tu vas trop vite.
CHRISTIAN :
Puisqu’elle est si troublée, il faut que j’en profite !
CYRANO : (à Roxane.)
Oui, je… j’ai demandé, c’est vrai… mais justes cieux !
Je comprends que je fus bien trop audacieux.
ROXANE : (un peu déçue.)
Vous n’insistez pas plus que cela ?
CYRANO :
Si ! j’insiste…
Sans insister !… Oui, oui ! votre pudeur s’attriste !
Eh bien ! mais, ce baiser… ne me l’accordez pas !
CHRISTIAN : (à Cyrano, le tirant par son manteau.)
Pourquoi ?
CYRANO :
Tais-toi, Christian !
ROXANE : (se penchant.)
Que dites-vous tout bas ?
CYRANO :
Mais d’être allé trop loin, moi-même je me gronde ;
Je me disais : tais-toi, Christian !…
(Les théorbes se mettent à jouer.)
Une seconde !…
On vient !
(Roxane referme la fenêtre. )
Roxane : (debout près de lui.)
Chacun de nous a sa blessure : j’ai la mienne.
Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
(Elle met la main sur sa poitrine.)
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
Où l’on peut voir encor des larmes et du sang !
(Le crépuscule commence à venir.)
Cyrano :
Sa lettre !… N’aviez-vous pas dit qu’un jour, peut-être,
Vous me la feriez lire ?
Roxane :
Ah ! vous voulez ?… Sa lettre ?
Cyrano :
Oui… Je veux… Aujourd’hui…
Roxane : (lui donnant le sachet pendu à son cou.)
Tenez !
Cyrano : (le prenant)
Je peux ouvrir ?
Roxane :
Ouvrez… lisez !…
(Elle revient à son métier, le replie, range ses laines.)
Cyrano : (lisant)
« Roxane, adieu, je vais mourir !… »
Roxane : (s’arrêtant, étonnée)
Tout haut ?
Cyrano : (lisant)
«C’est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée !
« J’ai l’âme lourde encor d’amour inexprimée,
« Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés,
«Mes regards dont c’était… »
Roxane :
Comme vous la lisez,
Sa lettre !
Cyrano : (continuant)
« …dont c’était les frémissantes fêtes,
« Ne baiseront au vol les gestes que vous faites
« J’en revois un petit qui vous est familier
« Pour toucher votre front, et je voudrais crier… »
Roxane : (troublée)
Comme vous la lisez, – cette lettre !
(La nuit vient insensiblement.)
Cyrano :
« Et je crie :
« Adieu !… »
Roxane :
Vous la lisez…
Cyrano :
« Ma chère, ma chérie,
« Mon trésor… »
Roxane : (rêveuse.)
D’une voix…
Cyrano :
« Mon amour !… »
Roxane :
D’une voix…(Elle tressaille.)
Mais… que je n’entends pas pour la première fois !
(Elle s’approche tout doucement, sans qu’il s’en aperçoive, passe derrière le fauteuil se penche sans bruit, regarde la lettre. - L’ombre augmente.)
Cyrano :
« Mon cœur ne vous quitta jamais une seconde,
« Et je suis et serai jusque dans l’autre monde
« Celui qui vous aima sans mesure, celui… »
Roxane : (lui posant la main sur l’épaule.)
Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit.
(Il tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un geste d’effroi, baisse la tête. Un long silence. Puis, dans l’ombre complètement venue, elle dit avec lenteur, joignant les mains.)
Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle
D’être le vieil ami qui vient pour être drôle !
Cyrano :
Roxane !
Roxane :
C’était vous.
Cyrano :
Non, non, Roxane, non !
Roxane :
J’aurais dû deviner quand il disait mon nom !
Cyrano :
Non ! ce n’était pas moi !
Roxane :
C’était vous !
Cyrano :
Je vous jure…
Roxane :
J’aperçois toute la généreuse imposture :
Les lettres, c’était vous…
Cyrano :
Non !
Roxane :
Les mots chers et fous,
C’était vous…
Cyrano :
Non !
Roxane :
La voix dans la nuit, c’était vous.
Cyrano :
Je vous jure que non !
Roxane :
L’âme, c’était la vôtre !
Cyrano :
Je ne vous aimais pas.
Roxane :
Vous m’aimiez !
Cyrano : (se débattant)
C’était l’autre !
Roxane :
Vous m’aimiez !
Cyrano : (d’une voix qui faiblit)
Non !
Roxane :
Déjà vous le dites plus bas !
Cyrano :
Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !
Roxane :
Ah ! que de choses qui sont mortes… qui sont nées !
– Pourquoi vous être tu pendant quatorze années,
Puisque sur cette lettre où, lui, n’était pour rien,
Ces pleurs étaient de vous ?
Cyrano : (lui tendant la lettre.)
Ce sang était le sien.
Roxane :
Alors pourquoi laisser ce sublime silence
Se briser aujourd’hui ?[…]
Cyrano :
Oui, ma vie
Ce fut d’être celui qui souffle – et qu’on oublie !
(À Roxane.)
Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
Sous le balcon ? Eh bien toute ma vie est là :
Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire,
D’autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C’est justice, et j’approuve au seuil de mon tombeau :
Molière a du génie et Christian était beau !
[…]
Roxane :
Je vous aime, vivez !
Cyrano :
Non ! car c’est dans le conte
Que lorsqu’on dit : Je t’aime ! au prince plein de honte,
Il sent sa laideur fondre à ces mots de soleil…
Mais tu t’apercevrais que je reste pareil.
Roxane :
J’ai fait votre malheur ! moi ! moi !
Cyrano :
Vous ?… au contraire !
J’ignorais la douceur féminine. Ma mère
Ne m’a pas trouvé beau. Je n’ai pas eu de sœur.
Plus tard, j’ai redouté l’amante à l’œil moqueur.
Je vous dois d’avoir eu, tout au moins, une amie.
Grâce à vous une robe a passé dans ma vie.