Sonnet "Ô beaux yeux bruns..." Olivier de Magny et Louise Labé,
XVI°siècle Renaissance


"Ô beaux yeux bruns..." d'Olivier de Magny "Ô beaux yeux bruns..." de Louise Labé,

O beaus yeus bruns, ô regards destournez,
O chaults souspirs, ô larmes espandues,
O noires nuicts vainement attendues,
O jours luisans vainement retournez :

O tristes pleints, ô désirs obstinez,
O tens perdu, ô peines despendues,
O mille morts en mille retz tendues,
O pires maulx contre moy destinez.

O pas epars, ô trop ardente flame,
O douce erreur, ô pensers de mon âme,
Qui ça, qui là, me tournez nuit et jour

O vous mes yeux, non plus yeux mais fonteines
O dieux, ô cieux et personnes humaines,
Soyez pour dieu tesmoins de mon amour.

O beaus yeus bruns, ô regars destournez,
O chaus soupirs, ô larmes espandues,
O noires nuits vainement atendues,
O jours luisans vainement retournez :

O tristes pleins, ô desirs obstinez,
O tems perdu, ô peines despendues,
O mile morts en mile rets tendues,
O pires maus contre moy destinez.

O ris, ô front, cheveus, bras, mains et doits :
O lut pleintif, viole, archet et vois :
Tant de flambeaus pour ardre une femmelle !

De toy me plein, que tant de feus portant,
En tant d'endrois d'iceus mon coeur tatant,
N'en est sur toy volé quelque estincelle.

Olivier de Magny (1529 ? - 1561 ?),
Les Souspirs, sonnet LV, édition de 1557

Louise Labé (1524-1566), Sonnets II (1555)



"Ô beaux yeux bruns..." d'Olivier de Magny "Ô beaux yeux bruns..." de Louise Labé

Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,
ô chauds soupirs, ô larmes répandues,
ô noires nuits vainement attendues,
ô jours luisants vainement revenus !

Ô tristes plaintes, ô désirs obstinés,
ô temps perdus, ô peines dilapidées,
ô mille morts disposées en mille filets,
ô pires maux qui me sont destinés !

Ô rires, ô front, cheveux, bras, mains et doigts !
ô luth plaintif, viole, archet et voix !
tant de flambeaux pour brûler une femelle !

Je me plains de ce que, alors que tu portais tant de feux,
et que tu touchais mon coeur de ces feux en tant d'endroits,
aucune étincelle n'en ait volé sur toi.